Discours d’Agnès Buzyn, 42ème Congrès de la Mutualité, vendredi 15 juin 2018

Seul le prononcé fait foi

Monsieur le Président, cher Thierry Beaudet,

Mesdames et messieurs les parlementaires,

Mesdames, Messieurs,

Je suis heureuse, et fière, d’être parmi vous aujourd’hui – pour ce 42ème Congrès de la Mutualité –

  et de m’inscrire dans une lignée plus que centenaire, qui puise aux sources même de notre protection sociale.

Vous avez retracé la belle histoire de votre mouvement, qui prend ses racines dans les « sociétés de secours mutuel ».

J’aime cette image, Monsieur le Président, de ce retour aux sources régulier, qui permet de se souvenir d’où nous venons, et forts des valeurs que nous portons, de repartir plus confiants dans notre capacité à les faire vivre.

Et puisque vous avez rappelé que j’étais médecin, je perçois aussi ce congrès comme le cœur battant du mouvement mutualiste,

  celui qui permet d’irriguer les actions que mènent au quotidien, partout sur le territoire, les délégués mutualistes.

Un Congrès est avant tout un lieu de débat, et j’aime le débat.

Un Congrès est le lieu où se forgent des stratégies, un lieu où s’esquissent des perspectives pour l’action,

  et je vais à la fois vous répondre et vous dire les visions que je porte et les convictions qui m’animent.

1. Vous avez rappelé les décisions que j’ai prises dès mon arrivée, pour adapter notre protection sociale.

Je pense à la suppression du RSI et du régime de Sécurité sociale étudiant.

Ces décisions, bien sûr, je les assume pleinement.

  D’abord parce qu’il s’agissait d’un engagement de la campagne présidentielle et que, les Français s’en sont rendus compte,

o ce Gouvernement est particulièrement attaché à mettre en œuvre les engagements pour lesquels il a été élu.

  Ensuite, parce qu’il s’agit d’adapter l’organisation de la Sécurité sociale à l’évolution économique et sociale de notre pays.

o La Sécurité sociale, comme la Mutualité, se sont bâties sur des solidarités essentiellement professionnelles, dans un monde où les parcours de vie, où les parcours de travail s’inscrivaient dans une forte continuité.

De toute évidence, ce monde-là a changé :

  les parcours professionnels se sont diversifiés,

  on peut être à divers moments de sa vie et parfois simultanément, salarié, travailleur indépendant ou fonctionnaire.

  Pour autant, on ne souhaite pas changer de caisse d’assurance maladie, pas plus qu’on envisage de changer de caisse d’allocations familiales.
Car la Sécurité sociale aussi a changé : ce qui était un droit attaché au travail est devenu, pour la couverture de base, un droit universel.

  La couverture maladie universelle, puis la protection universelle maladie, la PUMA, ont réalisé – près de 40 ans après – l’évolution opérée pour les prestations familiales.

Dès lors, ce qu’attendent nos concitoyens, c’est un service public qui les accompagne :

  dans leurs évolutions professionnelles ;

  sans risque de rupture et sans variation dans la qualité de la couverture…

  …et c’est bien le sens des réformes que nous avons conduites.

Bien sûr, les évolutions que nous observons ne sont pas sans poser certaines questions.

  Quels sont les fondements de notre solidarité sociale, aujourd’hui, en 2018 ?

  N’y a-t-il pas chez nos concitoyens une vision utilitariste de notre dispositif de protection sociale, qui tend à oublier qu’il s‘agit d’abord d’un bien commun, une « res publica », dont la pérennité dépend de chacun de nous ?

On parle souvent, et à juste titre, de l’école de la République pour définir notre creuset commun d’éducation.

  Mais on ne parle pas de Sécurité sociale de la République, alors qu’elle est, elle aussi, à bien des égards, un élément fort de notre cohésion sociale.

Ces mêmes questionnements traversent le monde mutualiste, qui a dû s’adapter à une mutation majeure de son environnement,

  je pense à l’accord national interprofessionnel de 2013 qui a redessiné le paysage de la protection sociale complémentaire.
Elle est désormais, pour beaucoup de Français, un droit attaché au contrat de travail, dans le cadre d’une solidarité à l’échelle de l’entreprise.

Mais, ce faisant, cette évolution contribue à distendre d’autres solidarités, notamment entre les actifs et les personnes retraitées.

  Je sais que c’est une préoccupation que nous partageons.

  Nous devons y répondre car l’enjeu, c’est l’accès effectif aux droits et aux soins, tant la complémentaire, que beaucoup de Français appellent familièrement « la mutuelle », est devenue présente dans leur quotidien.

On a beaucoup écrit sur les défauts de l’articulation entre l’Assurance maladie obligatoire et l’Assurance maladie complémentaire.

On a même proposé des organisations alternatives, supposées plus simples et moins coûteuses.

Il appartient bien sûr d’abord aux organismes eux-mêmes de faire la démonstration, par la qualité du service qu’ils rendent, de leur efficience et de leur savoir-faire.

Mais il nous revient aussi collectivement, responsables politiques, responsables mutualistes, dirigeants des grandes fédérations de complémentaire,

  d’œuvrer conjointement pour que ces deux parties de l’assurance en santé, l’assurance obligatoire et la mutuelle, améliorent l’accès aux soins des assurés.

A cet égard, le projet du reste à charge zéro sur les équipements optiques, auditifs et dentaires, qui s’appelle dorénavant 100% Santé, est emblématique de ce que nous pouvons réussir ensemble.
  C’est une des premières fois, à ma connaissance, peut-être même la première fois, qu’on définit l’absence de reste à charge comme résultant de l’intervention combinée de l’Assurance maladie et de la complémentaire.

C’est bien la reconnaissance du rôle spécifique des complémentaires.

Je crois que nous pouvons ensemble nous réjouir du résultat, auquel votre fédération a beaucoup contribué, par son implication dans les négociations.

C’est pour les Français un vrai progrès dans l’accès aux soins ; et pour notre pays un vrai progrès de santé publique.

Cet accord, c’est plus d’égalité, et plus de prévention. C’est à la fois une ambition sociale et une ambition sanitaire que nous avons honorée.

2. La prévention, justement.

J’en ai fait, vous l’avez rappelé, la priorité de mon action ministérielle.

Vous l’avez dit très justement, Monsieur le Président : il n’y a pas toujours de responsabilité à mal se comporter en matière de santé.

Plus encore peut-être que pour les soins, qui dans notre pays, et c’est notre fierté, bénéficient à tous dans des conditions de relative égalité…

  les comportements face à la prévention sont un reflet, un amplificateur et, osons le mot, un catalyseur des inégalités sociales.

Je ne peux pas me satisfaire des performances médiocres de notre pays en termes de mortalité prématurée avant 65 ans ; ou dans la capacité à vivre en bonne santé après cet âge.

Dans les deux cas, c’est un défaut de prévention qui est en cause.
La prévention pour moi, ce n’est pas interdire ou punir.

  C’est au contraire libérer en informant, en faisant le pari du libre-arbitre éclairé et de l’intelligence collective, pour faire évoluer certains comportements sociaux.

Prenons l’exemple du tabac.

  Fumer, vous en conviendrez, n’est pas une nécessité : fumer est un usage social, qui a déjà commencé à régresser de façon très significative dans certains pays, je pense notamment au Royaume-Uni ou à l’Australie.

Le rôle de la puissance publique, mon rôle, c’est de favoriser ces évolutions et d’accompagner les citoyens dans leur choix, et c’est pour cela qu’à la fois :

  nous relevons le prix du tabac comme jamais ;

  et que nous remboursons les substituts nicotiniques.

Le rôle de la puissance publique, c’est aussi de protéger, en assumant ses choix ; notamment les plus vulnérables.

  et c’est pour cela que j’ai porté, pour nos enfants, l’extension de l’obligation vaccinale.

3. J’ai voulu, en donnant cette priorité à la prévention, en faire le socle d’une réorientation de notre système de soins.

3.1. A cet égard, les initiatives de terrain sont essentielles.

Notre système de santé ressemble à nos jardins à la française : un système structuré, cloisonné, rigidifié par ses règles, par son système tarifaire ;

  Et, j’ajouterais, insuffisamment tourné vers la qualité et la pertinence.
Il faut davantage laisser aux acteurs la liberté de s’organiser.

Vous avez cité quelques exemples d’initiatives remarquables, Monsieur le Président : Saint-Nazaire, Lyon, Laval, ou encore Nevers.

J’ai porté l’article 51 pour que ces initiatives prennent leur essor et ne soient pas étouffées dans l’œuf, faute de support juridique ou financier. Vous faites de l’innovation organisationnelle votre cheval de bataille. Je vous dis : allez-y, osez être innovant !

3.2. Faire confiance au terrain, libérer les capacités d’organisation, c’est ce qui fonde le plan d’accès aux soins, que j’ai lancé avec le Premier ministre, en octobre dernier.

Certains territoires n’ont pas assez de soignants, ou de temps de soignant disponible, ce qui se traduit par :

  des délais d’attente importants, des difficultés à obtenir un rendez-vous pour les patients, et une charge de travail excessive pour les professionnels.

Il n’est pas possible, chacun en a bien conscience, de compenser là, maintenant, l’évolution de la démographie médicale en augmentant le nombre de nouveaux praticiens.

La situation d’aujourd’hui est le reflet de décisions prises il y a 20 ans –le nombre de médecins généralistes n’augmentera pas avant le milieu de la décennie suivante.

Mais l’accès aux soins ne se réduit pas au nombre de professionnels de santé installés dans les territoires :

  c’est aussi une présence soignante adéquate partout et quand cela est nécessaire, qui peut s’appuyer davantage sur la coopération interprofessionnelle.

  Et ces coopérations prennent tout leur sens quand il s’agit d’accompagner des pathologies chroniques au parcours complexe.

Pour ce faire, je veux encourager les dynamiques qui partent des territoires, car c’est là que se trouvent les idées qui fonctionnent et qui pourront être proposées dans d’autres endroits.
3.3. Vous le savez, le Premier ministre et moi-même avons annoncé le 13 février dernier à Eaubonne un plan de transformation du système de santé.

Cette stratégie, nous l’avons voulue comme une démarche qui précisément donne toute leur place aux acteurs pour proposer les leviers de la transformation.

Ainsi vous avez été nombreux à participer aux consultations organisées depuis avril sur les 5 domaines–clé où nous devons agir :

  la qualité et la pertinence des soins : c’est redonner du sens et de la valeur à l’activité soignante.

  le financement de l’hôpital et des soins en ville :

o c’est mieux tenir compte, dans nos modèles tarifaires à l’activité, des besoins de patients essentiellement chroniques ;

o et c’est aussi valoriser la prévention.

  le virage numérique : c’est mettre les systèmes d’information en santé au service de la coordination et de la continuité des soins.

  les ressources humaines, les métiers : c’est permettre à chaque professionnel d’exprimer pleinement sa valeur ajoutée dans la chaîne du soin ;

  et enfin la territorialisation du système de santé : c’est, de nouveau, agir en proximité et de manière agile.

Les propositions qui me seront remises dans les prochaines semaines nourriront une vision ambitieuse, et concrète :

  ma boussole sera le service rendu aux citoyens.
3.4. Je m’investirai pleinement, mais je ne le ferai pas seule, j’aurai besoin de vous.

Vous, c’est-à-dire, l’ensemble des établissements et services portés par le mouvement mutualiste.

Ils ont bien sûr toute leur place au sein du grand ensemble des établissements de service public.

Vous m’avez interpelée, monsieur le Président, sur la dernière campagne tarifaire.

Je vais vous répondre simplement : je ne crois pas à la pérennité des dispositifs de reprise des avantages fiscaux mis en place depuis 2013.

En 2019, il y aura un nouveau cadre d’allégements généraux, très favorable au secteur non lucratif.

Saisissons cette occasion pour bâtir de nouvelles règles, plus claires et plus durables.

Par ailleurs, vous l’avez dit très bien dit, Monsieur le Président : « plus la santé sera élargie à la prévention, à l’accompagnement, à l’intergénérationnel, plus elle sera un projet de société et pas seulement une charge financière. »

4. Justement, parlons de solidarité intergénérationnelle.

Pour répondre au défi du vieillissement, notre modèle de prise en charge des personnes âgées doit être rénové.

Nous devons nous préparer à l’arrivée au grand âge de la génération du baby-boom, et c’est un défi de même ampleur que l’arrivée de la même génération à la retraite dans les années 2000.

L’enjeu de la dépendance n’est pas seulement sanitaire, il est aussi social.

  penser le bien vieillir, c’est aussi penser à l’urbanisme, aux transports, aux liens sociaux et à la qualité de vie – ce jusqu’au terme de l’existence.
J’ai présenté il y a deux semaines le cadre méthodologique de la réflexion qui sera conduite au cours du second semestre de cette année et jusqu’au début de l’année 2019.

Je souhaite que le mouvement mutualiste, dont la solidarité et la mutualisation des risques sont l’essence même de l’action, qu’il prenne sa part active à la réflexion commune.

Mesdames, Messieurs,

En me tenant devant vous, je ne peux que saluer la diversité de votre assemblée.

Je vois des directeurs d’EHPAD, de centres de santé, d’établissement de santé à but non-lucratif ; et c’est là que réside toute l’originalité de votre secteur, le tiers-secteur :

­ le public et le privé rassemblés autour des principes de l’économie sociale, autour des thèmes de l’utilité sociale et de la justice,

­ rassemblés, enfin, autour de l’humain, le centre de votre engagement commun.

L’importance du mutualisme dans la construction de la démocratie sociale n’est, je crois, plus à démontrer.

Car le rôle des mutuelles ne se résume pas au remboursement des actes médicaux.

Elles s’engagent à :

o faire de la solidarité une réalité ;

o garantir l’accès aux soins pour tous ;

o prendre en charge la santé dans sa globalité ;
o et mettre l’économie au service de la personne.

Permettez-moi d’évoquer la figure de l’arbre, qui a été intégré dans la symbolique mutualiste au début du XXème siècle – une initiative qui, vous le savez, se revendique d’une double tradition :

• celle des arbres de Mai des corporations de l’Ancien Régime ;

• et celle des arbres de la Liberté de 1789.

Qu’elle soit corporative ou républicaine, la plantation d’un arbre est une marque de confiance en l’avenir, et c’est bien dans ce sens que vous l’entendez.

Aussi je conclurai en citant le poème rédigé par un délégué, à l’occasion de la plantation d’un arbre dans l’Allier en 1933 :

« D’un siècle de bonté cet arbre est la préface,

C’est le symbole ardent de la fraternité,

Qu’à son ombre de paix toute haine s’efface

Sous le grand signe humain de la mutualité. »

J’espère que ces beaux vers, ceux de l’engagement mutualiste, sauront nous inspirer.

Je vous remercie.

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