Discours d’Agnès Buzyn, Assemblée générale de l’UNAF, 23 juin 2018

Seul le prononcé fait foi

Madame la Présidente,
Mesdames et Messieurs les députés,
Monsieur le Président du conseil départemental,
Madame la conseillère régionale,
Monsieur le directeur de l’Agence régionale de la santé,
Mesdames les directrices,

Mesdames et Messieurs,

J’interviens cette année devant votre Assemblée générale, Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les délégués, dans un contexte où beaucoup de questions se posent concernant notre modèle social, sa préservation et sa nécessaire transformation. Dans ce débat, il faut savoir de quoi l’on parle et ce que recouvre la protection sociale. C’est indispensable si l’on veut dire des choses justes et répondre aux besoins des Français.
La politique familiale, à laquelle nous consacrons 55 milliards d’euros chaque année, fait partie du modèle social français, tout comme l’UNAF car vous avez historiquement une place et une position institutionnelle singulières.

J’en profite d’ailleurs pour saluer les actions conduites par les UDAF dans l’ensemble du territoire et féliciter l’accueil de l’UDAF d’Ille-et-Vilaine pour son accueil et pour la récente refonte de son site Internet. Il sera, je l’espère, cité en exemple lors de vos travaux de cet après-midi sur la meilleure manière de faire du numérique une chance pour les familles.
Nous le savons, les Français sont fiers de leur protection sociale et nulle part sans doute plus qu’en France, l’identité nationale ne s’est construite autour d’un modèle social et de la conscience qu’il existe une singularité à cultiver.
Les Français sont donc attachés à leur modèle social. Mais en ce qui concerne la famille, il y a quelque chose de plus : les Français sont aussi attachés à la famille en tant que telle, à ce qu’elle représente : noyau de base de la société, creuset affectif, valeur refuge, tête de pont des solidarités.
Je remarque d’ailleurs que les Français dans leur ensemble sont si attachés à la famille, à ce qu’elle représente, qu’ils ont su au cours du temps ne pas en faire une institution figée, impropre à accueillir l’évolution des mœurs et la réalité des situations de vie. La Famille avec un grand F change, parce que les familles changent.
Je vous dis cela parce que l’année 2019 verra la révision des lois de bioéthiques et que les états généraux de la bioéthique conduits cette année sous l’égide du Comité national consultatif d’éthique ont mis en lumière des questionnements relatifs à la famille et aux liens de parentalité en lien avec les progrès de la médecine.
Le moment venu, il faudra prendre des décisions et ma conviction est qu’il faudra les prendre sans avoir peur, c’est à dire en tenant compte de la capacité de nos organisations à produire de la stabilité et de la sécurité, tout en se transformant profondément et en évoluant.
Parce que nous le voyons bien, la famille se transforme en permanence : les gens se marient moins et de plus en plus tard, ils sont plus âgés lorsqu’ils accueillent leur premier enfant et les suivants aussi, ils divorcent davantage mais vivent plus longtemps et se remettent en couple.

Cela ne veut pas dire que tout va toujours très bien. Il y a un côté sombre à ces évolutions, vous le savez bien, vous qui accompagnez les familles au quotidien. La famille connaît des ruptures (les deuils précoces, les divorces) que notre système d’aides ne prend d’ailleurs pas suffisamment en compte et je souhaite ouvrir une réflexion sur le sujet.
Les grands parents, par l’effet de la longévité, sont de plus en plus présents et participent plus qu’avant à l’éducation des petits enfants. Mais beaucoup d’enfants, parfois jeunes, deviennent aidants de leurs parents âgés et ce sujet est aujourd’hui un enjeu majeur de société, insuffisamment pris en compte dans notre système de congés et de retraite.
Je souhaite avancer sur le sujet des aidants de personnes âgées, en prenant en compte l’ensemble de leurs besoins et notamment celui de pouvoir faire en sorte que ceux qui travaillent puissent s’arrêter le temps nécessaire tout en étant rémunérés. Ce temps sera limité car il ne s’agit pas de fragiliser les aidants en les éloignant du marché du travail et c’est avant tout à la solidarité nationale de bien prendre en charge les personnes âgées. L’aide des aidants et des familles ne peut être que complémentaire, indispensable mais complémentaire.
Je voulais donc commencer ici par vous rendre hommage et par rendre hommage aux familles, aux neuf millions de famille qui peuplent la France dans leur diversité et leurs différences.
Venons-en à la politique familiale à présent.
L’Etat apporte son soutien aux familles de multiples manières et à travers de nombreux vecteurs. Il y a l’impôt, il y a l’éducation gratuite, mais il y aussi les prestations et les services qui sont financés dans le cadre de la branche famille de la Sécurité sociale. C’est une richesse.
L’ensemble de ces aides place la France au-dessus de la moyenne européenne. Si notre natalité baisse légèrement, la France conserve sa place de pays à plus forte fécondité d’Europe. Cela nous permet de préparer l’avenir et c’est un indice d’optimisme. Mais la politique familiale participe aussi à la lutte contre la pauvreté.
Je suis très attachée à cette double vocation de la politique familiale : elle doit protéger plus ceux qui ont moins au départ. C’est un équilibre à trouver et cela nécessite de réinterroger constamment l’efficacité des aides versées, leur valeur ajoutée dans la vie des gens.
Nous ne pouvons pas nous satisfaire d’une situation dans laquelle, en France, plus qu’ailleurs, la pauvreté, frappe durement certains enfants, un jeune sur quatre, une famille monoparentale sur trois C’est ce qu’a rappelé le Président de la République lors de son discours de la Mutualité le 13 juin dernier.

Intervenir précocement auprès des familles est un levier clé et majeur de toutes les politiques de prévention. C’est la raison pour laquelle l’ensemble des stratégies portées par le gouvernement, qu’elles soient déjà rendues publiques ou encore en cours d’élaboration, aborderont aussi les questions familiales.
Il en est ainsi par exemple de la stratégie nationale de santé adoptée fin 2017, qui développe des axes prioritaires propres à la santé de l’enfant, de l’adolescent et du jeune adulte, notamment en accompagnant mieux les parents dès la période prénatale dans l’apprentissage des enjeux de santé de l’enfance et de l’adolescence. Le parcours santé-éducation de la naissance à 6 ans, sur lequel un travail de concertation sera prochainement lancé par mon ministère et celui de l’Education nationale, devra également intégrer le rôle spécifique et essentiel que jouent les parents sur cette question.
C’est la même chose en ce qui concerne les services aux familles, c’est-à-dire les crèches.
La précédente convention entre l’Etat et la branche famille n’a pas atteint ses objectifs de création de places. Nous devons en tirer tous les enseignements et procéder autrement.

C’est la raison pour laquelle la prochaine convention qui sera signée en juillet pour cinq années portera une ambition majeure : celle de rééquilibrer l’offre de crèches dans les territoires manifestement défavorisés jusqu’ici via un soutien plus ciblé des aides des caf. Pour réaliser cette ambition tout en continuant bien sûr à créer des places partout en France, la prochaine convention s’appuiera sur les mesures suivantes :
  Une rénovation complète des financements apportés par les Caf aux communes pour la création des places : ces derniers sont aujourd’hui illisibles et surtout inéquitables. Ils sont issus d’une sédimentation historique et de dispositifs épars qui n’ont plus de sens aujourd’hui. Ils ne permettent pas d’aider les communes de manière adaptée au niveau de leurs ressources et à celle des familles qui y résident. Un nouveau mécanisme de financement des places en crèches adossé au niveau richesse de la commune et de ses habitants sera donc instauré et mis en place progressivement ; il s’accompagnera d’un bonus systématique de 1000 € attribué au financement des places de crèches dans les quartiers prioritaires de le politique de la ville comme l’a annoncé le Président de la République ;

  Un financement supplémentaire apporté aux communes qui créeront des places accueillant des enfants issus de familles pauvres et en situation de handicap. Cet objectif est très important parce que la mixité sociale, l’accueil des différences se construisent dès l’enfance. Il est de notre devoir de nous assurer que tous les enfants peuvent être accueillis en crèche et y sont effectivement accueillis.

Bien sûr, nous conserverons en outre le fonds publics et territoire de la Cnaf, auquel je sais que vous êtes très attachés pour financer des projets particuliers, issus des territoires et qui méritent un appui particulier. Je préserverai en outre la capacité des caisses à agir au plan local via leurs dotations d’action sociale. Cette action doit s’inscrire dans les orientations fixées au niveau national par la Cnaf et son conseil d’administration mais il est important que la politique familiale puisse être ancrée dans un tissu local et s’adapter à la réalité des besoins qui varient d’un bout à l’autre de la France. Je pense par exemple aux investissements nécessaires pour créer des centres sociaux dans les quartiers de la politique de la ville.
Pour maintenir le rythme de création de places d’accueil, j’entends aussi libérer les énergies des porteurs de projet, et leur donner les moyens de les mener à terme.

Le corpus des normes qui régissent les modes d’accueil du jeune enfant est fourni, dispersé et pose des règles souvent difficiles à concilier, voire incohérentes. Ce sont autant de facteurs d’incompréhension ou de crispations. Ils expliquent en partie les échecs de la dernière convention malgré les moyens financiers qui étaient prévus.

Les compétences et responsabilités en matière d’accueil du jeune enfant sont particulièrement enchevêtrées. Il résulte de ce contexte une application du cadre normatif très hétérogène en fonction des territoires. Et pourtant, le niveau de normes des modes d’accueil du jeune enfant n’est pas plus exigeant que celui de nos voisins européens. C’est la complexité du système français qui est la cause principale de ses insuffisances.

C’est pourquoi nous avons besoin d’un environnement administratif plus simple, à même de réduire les délais et les coûts de création et de gestion de modes d’accueil, en vue de faciliter leur ouverture, leur fonctionnement, et donc d’accroître l’offre. Il est également indispensable de faciliter les démarches administratives des porteurs de projets en expérimentant le traitement coordonné des demandes de création de modes d’accueil grâce à la mise en place de guichets uniques.

L’habilitation à prendre des ordonnances dans le champ de la petite enfance nous donne l’occasion de cette reprise approfondie du cadre normatif, dont j’entends qu’elle soit conduite d’ici début 2019.

Toujours en ce qui concerne les services aux familles, j’ai fait en sorte que la branche famille de la sécurité sociale puisse continuer à soutenir activement les communes qui mettent en place des activités de qualité pour les enfants le mercredi et après l’école, en lien ou pas avec le changement des rythmes scolaires. Là encore, il s’agit de faire en sorte que tous les enfants puissent avoir accès à des loisirs de qualité et à la culture lorsqu’ils ne sont ni dans leur famille ni à l’école. C’est un impératif d’égalité des chances et une mesure nouvelle permettra de mieux accompagner les enfants en situation de handicap dans les centres de loisirs. Cela aussi j’y suis particulièrement attachée.

La prochaine convention portera aussi une ambition forte en matière de soutien à la parentalité parce que cela fait partie des services aux familles et que cela répond à un besoin d’accompagnement qui est complémentaire des aides monétaires.


Je souhaite terminer mon intervention par la protection juridique des majeurs.

Un groupe de travail a été mis en place en novembre 2017 en vue d’élaborer un référentiel national d’éthique et de déontologie des mandataires judiciaires à la protection des majeurs. Ce chantier est essentiel. Vous en connaissez les finalités, parmi lesquelles l’exigence de poursuivre la professionnalisation du secteur et de valoriser la profession. Je sais que je peux compter sur la mobilisation des fédérations de mandataires pour accompagner la diffusion de ce référentiel, qui doit être large

Par ailleurs, le développement dans les territoires de l’information et du soutien aux tuteurs familiaux se poursuivra avec la diffusion progressive en 2018 et 2019 d’outils à destination des familles, des professionnels et des services déconcentrés.

Comme vous le savez, le dispositif de protection juridique des majeurs est appelé à évoluer pour mieux répondre aux exigences de notre temps.


A ce titre, la réflexion transversale et interdisciplinaire animée par Anne Caron-Déglise, avocate générale à la Cour de cassation, constituera une contribution essentielle à l’évolution nécessaire de la protection juridique des majeurs. Le rapport devrait m’être remis ainsi qu’à Nicole Belloubet et Sophie Cluzel, fin juillet.

Je sais que vous êtes inquiets au sujet de la réforme de la participation financière des majeurs protégés, dont le décret sera bientôt publié, bien qu’avec retard par rapport au calendrier initial.

Je sais aussi que les fédérations de services mandataires n’étaient pas favorables à cette réforme qui accroît la participation financière des personnes. Cette mesure était pourtant inévitable pour répondre à une double nécessité : d’une part, la responsabilité budgétaire qui oblige l’Etat à mieux maîtriser ses dépenses et, d’autre part, la prise en compte des besoins des services mandataires permettant de financer un taux d’évolution de leurs budgets plus conforme à l’accroissement de leur activité.


Toutefois, les personnes protégées dont le niveau de revenus n’excède pas le montant actuel de l’allocation adulte handicapé (AAH) continueront à être exonérées de participation financière. De plus, comme je m’y étais engagée lors de la discussion de la loi de finances, l’effort supplémentaire demandé aux plus modestes a été revu à la baisse, à hauteur de 0,6% pour la tranche de revenus comprise entre 0 et le montant de l’AAH contre 1% initialement.

Je tiens aussi à vous rassurez : nous prendrons le temps qu’il faut pour mettre en place le nouveau barème et celui-ci n’entrera pas en vigueur au beau milieu de l’été ! Vous pouvez compter sur moi pour faire en sorte que les choses se passent au mieux.

Madame la Présidente,
Mesdames et Messieurs,

J’arrive au terme de ce discours, par lequel je souhaitais vous montrer combien le gouvernement est mobilisé au service de toutes les familles.

D’abord bien sûr pour répondre toujours mieux aux objectifs traditionnels de la politique familiale : contribuer à la compensation financière des charges de famille, favoriser la conciliation entre vie familiale et professionnelle.
Mais aussi pour approfondir et affermir des objectifs plus récents : accompagner les parents dans leur rôle éducatif et de soin, encourager et soutenir les aidants familiaux.

Et enfin pour faire en sorte que la politique familiale irrigue et amplifie l’ensemble des politiques de solidarité portées par ce gouvernement.

Je vous sais toutes et tous très impatients de connaitre les mesures prévues par la prochaine convention Etat-Cnaf et la stratégie interministérielle de prévention et de lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes. Vous n’attendrez plus longtemps.

J’espère que le tableau que je vous ai esquissé ce matin aura suffisamment exposé mes intentions en matière de politique familiale, et vous donnera la patience d’attendre les quelques jours qui nous séparent des annonces en la matière.

Je vous remercie de votre attention, et vous souhaite une excellente poursuite de votre assemblée générale.

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