Discours d’Agnès Buzyn - Assises nationales des EHPAD, le mardi 13 mars 2018

seul le prononcé fait foi

Mesdames et Messieurs les directeurs de fédérations et d’établissements ;

Mesdames les députées,

Mesdames, Messieurs,

Chère Marie-Anne (Montchamp), Chère Anne (Burstin), Cher Bertrand (Fragonard), Cher Luc (Broussy),

Je suis très heureuse d’intervenir dans cette édition 2018 des Assises des Ehpad et de m’adresser à vous aujourd’hui.

Je remercie Luc Broussy de m’avoir permis d’intervenir à un moment particulièrement important pour le secteur même si ces Assises sont à vrai dire programmées depuis longtemps. Disons donc qu’il y a des hasards heureux et des occasions à saisir !

Je voudrais d’abord dire aux professionnels de ce secteur combien ils jouent un rôle important dans notre système social.

Depuis que je suis arrivé au ministère, j’ai visité beaucoup d’EHPAD, presqu’un par semaine et je suis frappée à la fois par l’engagement des personnels, on s’arrête souvent à cela, mais aussi et surtout au professionnalisme de ce secteur qui a énormément évolué au cours des trente dernières années.

Il a fait face à une transformation profonde de ses missions, marquée notamment par la prise en charge de personnes de plus en plus âgées et de plus en plus dépendante.

C’est aussi un secteur dans lequel j’ai vu beaucoup d’innovations, d’initiatives. Nous savons tous que notre modèle d’EHPAD est à un carrefour, qu’il devra évoluer, se réinventer. Il va pouvoir le faire grâce à l’esprit d’avenir qui marque ce secteur. Je veux profiter de ces Assises pour le saluer et pour vous le dire à vous et aux personnes, aux salariés que vous représentez ici.

Pour préparer mon intervention, j’ai eu la curiosité de regarder le programme des Assises de l’année dernière. Elles ont eu lieu fin mars 2017. Moment historique aussi.

A l’ordre du jour figuraient notamment les sujets suivants :

 Conditions de travail en Ehpad : un ras-le-bol des personnels ?

 Vers une déshabilisation partielle à l’aide sociale ?

 Nouvelles règles budgétaires : progrès ou arnaque ?

C’est dire que sur le sujet du vieillissement, les questions qui se posent ne sont pas nouvelles et nécessitent de prendre un peu de recul. J’hérite d’une situation complexe et je pense qu’ensemble il nous faudra du temps pour trouver des solutions aux difficultés qui sont devant nous. Ce qui ne veut pas dire bien sûr que certaines impatiences ne soient pas légitimes. J’y reviendrai.

Lorsque je parle de difficultés, je pense d’abord, bien sûr à la réforme de la tarification.

C’est le premier point que je souhaite aborder. Le deuxième sera la stratégie globale que je souhaite porter et enfin la question des personnels.

La réforme de la tarification donc.

C’est un sujet de préoccupation.

Comme vous le savez déjà, j’ai nommé un médiateur, M. Ricordeau, pour examiner précisément la situation en lien avec les fédérations, les agences régionales de santé, les conseils départementaux, des établissements et leurs salariés. Il me fait régulièrement un état des lieux de sa mission qui comprend de nombreuses visites de terrain.

La réforme elle-même, difficile à appréhender, comporte plusieurs volets dont certains sont complètement absents des débats. Je souhaite les rappeler ici :

 un nouveau cadre budgétaire qui donne de la souplesse aux établissements dans l’affectation des résultats ;

 une tarification à la ressource dans un cadre pluriannuel et en fonction des besoins, plutôt qu’une négociation purement comptable chaque année qui ne permet pas de construire des projets.

Ces apports ne sont pas contestés et doivent être préservés.

Il y a ensuite le volet de réforme qui concerne le forfait soins, celui payé par l’assurance maladie via la CNSA et les ARS. Lui non plus n’est pas contesté, et pour cause : 85% des EHPAD y gagnent des moyens supplémentaire tous les ans sur 7 ans dans le cadre de l’ONDAM.

Mais, le point dont je comprends qu’il focalise les critiques est celui de la convergence des tarifs dépendance autour d’une moyenne départementale.

C’est principalement sur ce dernier élément de la réforme, que les difficultés sont apparues lors sa mise en œuvre effective en 2017.

Le gouvernement précédent n’avait pas pu faire une étude d’impact financière préalable sur cette partie de la réforme. C’est sans doute cela qui nous a manqué.

Comme je l’ai déjà dit devant la commission des affaires sociales du Sénat, si nous avons pu avoir il y a quelques mois une première estimation des impacts « macro-économiques » de la réforme, l’impact établissement par établissement était mal appréhendé.

Les premiers retours de M. Ricordeau montrent que lorsqu’on se situe au niveau des établissements les impacts sont significativement plus importants que lorsqu’on regarde les effets par grande masse ou par catégorie d’établissements. Il faut le reconnaître.

Ainsi, même si très peu d’établissements perdent des recettes à la fois au titre du soin et de la dépendance, le nombre d’établissements qui sortent avec une recette globalement réduite sur sept ans est significatif, environ 20 à 25%, avec bien sur des niveaux de perte tout à fait variables, parfois très faibles, parfois plus significatifs. En effet les améliorations au titre de la convergence soins sont parfois inférieures aux pertes au titre de la convergence dépendance.

Je prends acte de ces éléments et je souhaite trouver des solutions pour sortir de cette situation.

Je l’ai toujours dit, mon objectif est d’améliorer les conditions de prise en charge pour les personnes.
Pour cela il faut que nous prenions le temps pour mesurer les conséquences concrètes de la réforme sur les établissements et pour discuter avec les départements et avec les fédérations de certains points de la réforme ou autour de la réforme.

Nous ne pouvons le faire si un certain nombre de décisions tarifaires viennent ajouter des difficultés aux difficultés que connaissaient déjà certains établissements, notamment ceux des hôpitaux ou des communes. C’est pourquoi j’ai demandé qu’il me soit proposé à très court terme un mécanisme qui, sans remettre en cause les fondements de la réforme, à tout le moins permette d’en neutraliser les effets négatifs, par exemple en compensant pendant une période qui sera déterminée, un an ou deux ans, les pertes de recettes.

C’est un sujet que le médiateur a commencé à travailler avec les fédérations.

Je souhaite que nous puissions avoir une discussion sur ce sujet avec les départements, donc avec l’Assemblée des départements de France, dont je sais qu’ils partagent globalement les constats que je viens d’évoquer.

Comment gérer les impacts de la réforme lorsqu’ils sont légitimes, comment les corriger s’ils le sont moins ? Comment également mieux prendre en compte la prévention dans le financement des EHPAD ? Au delà de la technique tarifaire sur la dépendance quelles mesures permettraient d’accompagner la réforme en facilitant l’exercice en Ehpad ?

Cette « pause » sur la convergence à la baisse sur la dépendance n’a donc de sens qui si nous nous fixons avec les départements et les établissements un programme de travail qui aboutisse rapidement. Là aussi j’attends que le médiateur me fasse une proposition concertée avec les fédérations. Ce travail pourra conduire le cas échéant à des ajustements de la réforme elle même et à une modification du décret, sans pour autant en remettre en cause les fondements.

Mais il faudra aller plus loin et c’est la raison pour laquelle je ne veux pas que la question de la tarification épuise notre sujet, nous épuise et tarisse les réflexions que nous devons mener pour conduire ensemble la politique publique de la prise en charge des personnes âgées.

Je proposerai au Premier ministre fin mars les grandes orientions d’une stratégie globale. Elle sera nourrie de mes rencontres avec des acteurs du secteur et de mes réflexions depuis mon arrivée dans ce ministère.

Pour construire une stratégie, je ne pars pas de rien. Il y a déjà des avancées notables au service des personnes âgées dans mon action à la tête de ce ministère. Permettez-moi d’en citer quelques-unes :

 la stratégie nationale de santé et le décloisonnement qu’elle permet ;

 le plan d’amélioration de l’accès aux soins et la réflexion sur les modes de financement du système de santé ;

 les réformes en matière de télémédecine ;

 l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale qui permet d’expérimenter des innovations organisationnelles qui concerneront le secteur médico-social ;

 l’accent que je mets depuis mon arrivée sur notre capacité à innover depuis les territoires avec des organisations souples qui permettent de progresser dans la pertinence des pratiques ;

 les annonces en matière de reste à charge zéro sur l’optique, le dentaire et les prothèses auditives.

Au-delà de ces éléments, je souhaite que nous réfléchissions ensemble aux sujets suivants :

 le juste soin en Ehpad et l’organisation interne et territoriale pertinente pour y parvenir ;

 le modèle de prise en charge de demain, entre domicile et établissement, sans oublier l’articulation avec la ville et l’hôpital ;

 la prévention de la perte d’autonomie, à domicile bien sûr, mais aussi en établissement ;

 la fin de vie, enfin.

Dans l’ensemble de mes réflexions, mon fil rouge sera la qualité au service d’une prise en charge préservant la dignité des personnes.

Je l’ai déjà dit et je l’affirme : ce n’est pas qu’une question de moyens : c’est une question de formation, c’est une question de regard. Comme ce qui s’élabore aujourd’hui en matière de handicap, nous devons travailler ensemble à une société inclusive pour les personnes âgées.

Mais je ne suis pas pour autant dans le déni sur les moyens.

L’Etat a déjà programmé plus de 400ME de dépenses supplémentaires dans le cadre de l’ONDAM pour les seuls effets liés à l’amélioration de la prise en charge des soins. Je sais que le débat se focalise beaucoup autour du taux d’encadrement au sein des Ehpad avec l’objectif d’un ratio d’un professionnel pour une personne âgée en établissement.

Ce ratio n’a aucun fondement théorique ou scientifique et il ne peut être considéré comme une norme. Il n’est pas généralisé au niveau européen comme je l’entends parfois dire. Il n’a pas de sens sans lien avec le degré de dépendance des personnes et par exemple en USLD ou dans certaines unités accueillant des personnes très dépendantes, il peut déjà monter à un pour un pour certaines prises en charge.

Il ne faut pas se voiler la face. Ce taux que personne n’a jamais défini ni financé, la France n’a pas les moyens budgétaires de le garantir. Je préfère le dire en toute franchise. Je pense d’ailleurs que nous ne disposerions pas non plus des ressources humaines pour l’atteindre.

Mais oui il faut dans la mesure du possible améliorer le taux d’encadrement en particulier autour de la dépendance et des soins. Il faut donc que nous travaillions ensemble aux voies et moyens de progresser sur l’environnement humain auprès des personnes dépendantes et sur les moyens de rendre cet encadrement le plus efficace possible.

En ce qui concerne la qualité des pratiques et la mesure de cette qualité, j’ai chargé la Haute Autorité de Santé de travailler à l’avenir à l’évaluation des pratiques et à la qualité dans le secteur médico-social. J’en attends beaucoup.

J’ai également annoncé la réalisation et la diffusion d’enquêtes de satisfaction au sein des Ehpad et dans les services d’aide à domicile. C’est un puissant levier de transformation, nous le savons bien.

Enfin, je n’oublie pas les personnels. C’est même un de mes sujets majeurs de préoccupation. Je ne suis pas sourde à ce que j’ai entendu depuis ma prise de fonction. Il est beaucoup question de souffrance.

Il existe un véritable enjeu de ressources humaines au sein des professions intervenant auprès des personnes âgées, en particulier les professions paramédicales et médico-sociales. C’est sans doute ici que l’impatience est la plus forte. Nous devons collectivement y répondre.

La question recouvre des enjeux statuaires classiques et des problématiques d’effectifs, bien évidemment (et ceux-ci ne sont pas à négliger), mais aussi et peut-être surtout des enjeux de valorisation des métiers, d’attractivité, de formation et de parcours de carrière. Il s’agit d’accompagner tout au long de la vie des personnes, la plupart du temps des femmes, dont les conditions de travail sont difficiles et éprouvantes sur le long terme (côtoyer quotidiennement la vieillesse et la mort). La commission sur la qualité de vie au travail en EHPAD rendra ses conclusions à la mi-avril, et ses propositions seront mise en œuvre et financées par les ARS et la branche Accidents du travail et maladies professionnelles de la sécurité sociale. Les employeurs et les organismes de formation devront aussi faire plus d’effort pour mieux former les salariés et prévenir l’usure professionnelle.

Un véritable plan métiers et de compétences sera à construire, en lien avec le ministère du travail, les employeurs du secteur (fédérations, associations, entreprises, branches) et les organismes de formation (du secteur privé et public).

Je souhaite à cet égard relancer les travaux d’actualisation des référentiels d’activité, de compétences et de formation des aides-soignants. Je souhaite aussi tirer toutes les conséquences des besoins de qualification des personnels exerçant d’ores et déjà dans les Ehpad.

C’est d’autant plus nécessaire que le secteur des personnes âgées est un secteur d’avenir en matière de création d’emplois mais connaît aujourd’hui des difficultés de recrutement déjà sensibles (aides-soignantes en particulier) qui pourront se révéler problématiques compte tenu de l’augmentation des besoins à couvrir dans les années qui viennent.

Vous le voyez, nos chantiers sont vastes et ils sont lourds.

La question des moyens, bien évidemment, se posera. Le mouvement de grève du 15 mars le rappelle et je recevrai les représentants de l’intersyndicale qui m’ont demandé audience.

Mais encore une fois, la question des moyens se pose notamment parce que la vieillesse a de l’avenir devant elle. Nos choix d’aujourd’hui conditionneront les prises en charge de demain, avec des besoins mais aussi des attentes en hausse. J’en suis consciente.

Je sais aussi que nous devrons concilier ces attentes avec celles, dont j’ai aussi la charge, relatives à l’enfance et à la jeunesse et bien sûr avec la nécessaire maîtrise de nos finances publiques.

Je vous remercie de votre attention.

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