Discours d’Agnès Buzyn - Imagine for Margo Sénat, le samedi 10 février 2018

seul le prononcé fait foi

Madame la Présidente d’Imagine for Margo, chère Patricia Blanc,

Monsieur le Président de l’Institut National du Cancer, cher Norbert Ifrah,

Madame la Présidente de la Ligue contre le cancer, chère Jacqueline Godet,

Monsieur le Président d’honneur de la Fondation ARC, cher Jacques Raynaud,

Mesdames, Messieurs,

Chaque année en France, nous dénombrons :

  1750 nouveaux cas de cancers, chez des enfants de moins de 15 ans ; 800 chez les adolescents entre 15 et 19 ans.

Le fléau du cancer représente la 2e cause de mortalité chez les moins de 15 ans, après les accidents.

Chaque souffrance, chaque mort, est inacceptable. C’est autant de drames personnels et familiaux indicibles. C’est la raison de votre engagement, à tous ici.

Nous savons qu’aujourd’hui, 5 ans après leur diagnostic, plus de 80 % de ces jeunes patients seront considérés comme guéris. C’est encore insuffisant : il nous faut progresser.
En conséquence, la recherche sur les cancers des enfants doit se poursuivre et s’intensifier. C’est une nécessité :

  pour identifier de nouvelles pistes de traitements ;

  et pour réduire les effets indésirables et les séquelles à long terme des traitements.

1. Le 3e Plan cancer 2014-2019 doit, en ce sens, assurer aux adolescents et aux jeunes adultes une prise en charge spécifique.

Je pense en particulier aux dispositifs d’accompagnement et d’aide aux familles.

  Ils sont encore aujourd’hui insuffisamment connus ou mobilisés.

  Ils doivent être renforcés, pour que les proches puissent rester auprès de leur enfant pendant le traitement.

Vous connaissez l’ambition de ce plan : des 208 mesures qu’il comporte, plus de 60% ont déjà été mises en œuvre.

Parmi les mesures emblématiques, je souhaite revenir sur quelques-unes d’entre elles :

1.1. Je pense tout d’abord aux organisations hospitalières interrégionales de recours en oncologie pédiatrique (OIR).

Cette organisation qui permet aux cancérologues pédiatres de discuter de tous les cas difficiles au sein d’une région :

  permet d’orienter les enfants dans les essais cliniques, pour accéder à de nouveaux traitements.

Cette organisation est particulièrement importante pour garantir à des enfants atteints de cancers très rares, complexes ou en situation de rechute, des prises en charge d’excellence, discutées entre spécialistes.
Pour accroître la dynamique de recherche sur les cancers des enfants dans notre pays, un programme intégré de recherche sur les cancers (PAIR) a été spécifiquement dédié aux cancers pédiatriques.

Il a permis de mobiliser la communauté des chercheurs et des médecins, encore trop dispersée :

  pour favoriser des coopérations partout en France ;

  et pour trouver de nouvelles synergies.

Son objectif est de soutenir des recherches dans l’ensemble des dimensions, fondamentales comme translationnelles, pour accélérer le transfert de connaissances vers la pratique clinique.

1.2. On peut également souligner des avancées liées dans notre pays, favorisant l’accès des enfants aux médicaments en développement, particulièrement attendus pour les cas les plus graves.

Nous espérons ainsi réduire les effets indésirables et les séquelles à long terme des traitements.

(i) Les Autorisations Temporaires d’Utilisation nominatives (ATUn), délivrées par l’Agence Nationale de la Sécurité du Médicament et des produits de santé (ANSM), ont permis de faire avancer la prise en charge des cancers pédiatriques.

Ces 5 dernières années, 2 000 ATUn ont été octroyées en onco-pédiatrie, soit environ 400 par an.

Ces autorisations temporaires font l’objet d’un traitement rapide par l’ANSM, et nécessitent un contact étroit avec des prescripteurs :

  elles sont particulièrement utiles dans des situations d’impasse thérapeutique.
Elles permettent la mise à disposition de spécialités non disponibles en France, ou de formes galéniques adaptées, facilitant l’administration chez les enfants les plus jeunes :

  c’est l’exemple des solutions buvables de méthotrexate.

L’ANSM, dans son rôle d’autorisation, permet aussi d’orienter les prescripteurs vers les essais spécifiques en cours de recrutement.

  Ceci permet d’inclure des patients dans des essais cliniques et de les faire bénéficier du traitement dans ce cadre expérimental.

Ces essais cliniques – et donc l’inclusion des enfants – est indispensable pour faire progresser la recherche en oncopédiatrie, car ils permettent :

  de tirer des enseignements collectifs ;

  et de déployer de nouvelles stratégies sur tout le territoire.

(ii) Je pense également aux programmes d’Accès sécurisé à des thérapies ciblées innovantes – AcSé.

Alors que les programmes AcSé Crizotinib et AcSé Vémurafénib arrivent à leur terme, et sont en attente de publication des résultats, je tiens à saluer la mobilisation particulière de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM).

Sa mobilisation a permis d’ouvrir l’essai AcSé-e-SMART en France dans les délais prévus.

  Ce programme constitue le premier essai clinique entièrement dédié aux enfants traités pour près de 20 pathologies sur l’ensemble du territoire français.

  A ce jour, 80 enfants ont été inclus dans ce projet e-SMART, explorant 5 molécules innovantes.
  Le programme est porté par l’Institut Gustave Roussy, l’INCa, la Fondation ARC, ainsi que par vous-mêmes, Imagine for Margo. Je les remercie, je vous remercie, pour votre engagement pour la recherche.

(iii) Je souhaite également revenir sur la création des « centres labellisés INCa de phase précoce » (CLIPP), initiée en 2010.

Ces centres investigateurs, spécialisés dans les essais précoces de nouveaux médicaments, bénéficient d’un soutien logistique et financier de l’Institut ; et de ses partenaires, la Ligue contre le cancer et l’ARC.

L’objectif est de se hisser au plus haut niveau international de qualité, dans la réalisation d’essais cliniques de phase précoce, pour :

  une plus grande sécurité des enfants ; et des lieux de soins adaptés.

Dans le cadre du 3ème Plan cancer 2014-2019, l’ambition a été de favoriser la création de centres dédiés aux enfants.

  Ainsi, sur les 16 CLIPP labellisés jusqu’en 2019, 6 ont une activité dédiée à la cancérologie pédiatrique.

  Ils ont permis une augmentation importante du nombre d’essais incluant des enfants, passant de 26 en 2014, à 63 en 2016.

De nombreux efforts ont été, et sont encore déployés, dans le cadre du 3ème Plan cancer.

Bien évidemment, nous devrons l’évaluer et apprécier les résultats sanitaires obtenus, pour envisager les suites à y donner.

Ce Plan Cancer 2014 – 2019 ne se résume pas à l’effort de la France. Nous travaillons également à l’évolution de la réglementation européenne sur les médicaments pédiatriques.

  Ce règlement avait pour ambition une mise à disposition plus rapide de médicaments, notamment en cancérologie pédiatrique.
  Son bilan n’est pas nul, mais il reste faible au regard des attentes.

1.3. 14 autorisations de Mise sur le Marché en pédiatrie (contre 67 pour l’adulte) ont été délivrées par l’Agence Européenne du Médicament (EMA) depuis 2007 et l’entrée en vigueur du règlement pédiatrique.

Elles relèvent toutes d’une procédure centralisée ; et sont principalement destinées au traitement des leucémies et des tumeurs cérébrales.

Elles sont issues des Plans d’Investigations Pédiatriques (PIP) pour la moitié d’entre elles : les PIP en oncologie sont en 3ème position après l’infectieux et l’endocrinologie.

La moitié de ces autorisations sont octroyées par des extensions d’indications ; et portent sur les mêmes indications que celles autorisées chez l’adulte.

Or, nous savons que c’est là la limite de ce règlement, car les cancers pédiatriques sont très différents de ceux des adultes ; et des médicaments spécifiques doivent être développés.

Ce point fera l’objet de réflexions dans le cadre de la révision du règlement.

C’est aussi la raison pour laquelle, des forums stratégiques et multidisciplinaires ont été mis en place depuis 2017 par l’EMA (Agence européenne du médicament) ; et regroupent :

  des représentants des agences européennes,

  de la FDA (Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux),

  et des experts cliniciens.

  C’était une première réponse nécessaire de l’Europe en matière d’oncopédiatrie.
Ces forums stratégiques en oncologie sont une plateforme de collaboration à un stade précoce de développement des médicaments, en vue :

  de partager les données disponibles,

  et de définir leurs caractéristiques cliniques, biologiques, en lien avec les besoins thérapeutiques explicités, avec une éventuelle priorisation des traitements.

Les approches les plus optimales pour répondre au manque de médicaments en pédiatrie y sont également discutées : des réponses devront être rapidement apportées.

1.4. Nous militons donc depuis plusieurs années auprès de la Commission européenne afin qu’une révision du règlement européen sur les médicaments pédiatriques soit engagée.

J’ai pu le rappeler au conseil Emploi, Politique Sociale, Santé et Consommateurs (EPSCO) en décembre dernier.

Elle devrait avoir lieu en 2018.

(i) Aussi devons-nous modifier le régime de dérogations accordées aux industriels, pour rendre obligatoire le développement d’un médicament en pédiatrie,

  si son mécanisme d’action peut avoir un intérêt dans les pathologies pédiatriques.

(ii) Nous devons aussi inciter de façon spécifique les industriels qui engagent des développements uniquement en pédiatrie, sans obligatoirement les lier à ceux de l’adulte.

(iii) Enfin, les reports accordés aux laboratoires dans la mise en œuvre des développements pédiatriques doivent être limités.

1.5. Pour toutes ces raisons, la France suit de près les travaux sur les médicaments pédiatriques au niveau européen.

Elle a soutenu, auprès du Parlement européen, la résolution du 15 décembre 2016 sur ce règlement.

Au niveau de la Commission européenne, elle a défendu ses propositions de modifications au sein du Comité pharmaceutique, ainsi que dans le cadre de la consultation conduite début 2017.

La Commission européenne :

  a remis fin 2017 un rapport sur l’évaluation du règlement sur les médicaments pédiatriques ;

  et annonce un rapport complémentaire en lien avec les maladies orphelines.

Les résultats de cette réflexion seront présentés d’ici 2019. Je comprends la déception et les attentes.

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Mesdames, Messieurs,

Si cet enjeu de l’onco-pédiatrie nous tient tant à cœur, c’est qu’il témoigne d’une exigence :

  préparer notre pays aux progrès thérapeutiques, extraordinaires, attendus pour les prochaines années, en s’assurant que les enfants seront les premiers à en bénéficier.

Nous poursuivrons avec détermination notre effort de recherche.

En parallèle, la France suivra de près l’avancée des travaux concernant les médicaments innovants, et participera à la révision du règlement pédiatrique européen, en vue du bénéfice d’une seule personne :
  l’enfant malade, qui espère de nous le meilleur soin et la bienveillance nécessaire pour affronter les épreuves de la vie.

Ayons à l’esprit ce mot du poète Wordsworth : « l’enfant est le père de l’homme ». Auprès des générations futures, c’est l’avenir de notre nation que nous jouons.

Je vous remercie.

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