Discours d’Agnès Buzyn - Proposition de loi pour une reconnaissance sociale des aidants déposée par le député M. Pierre Dharréville - Discussion en séance publique à l’Assemblée Nationale, le 8 mars 2018

seul le prononcé fait foi

Mesdames, Messieurs les Députés,

Monsieur le Député,

Vous le savez, le Gouvernement accorde une importance toute particulière à la question des proches aidants :

 elle figure dans la feuille de route ministérielle que m’a confiée le Premier ministre,

 ainsi que dans celle de la secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées, Sophie Cluzel.

1. Aussi, je salue la volonté de cette Assemblée, qui se traduit aujourd’hui par la proposition de loi de Monsieur le Député Pierre Dharéville,

 comme elle s’était exprimée dans la proposition de loi de Monsieur le Député Paul Christophe, il y a quelques semaines.

Je tiens aussi à saluer le rôle fondamental, le dévouement remarquable de 8 à 11 millions de nos concitoyens et concitoyennes – rappelons en ce jour international des droits des femmes, que la grande majorité sont en effet des femmes –, qui aident des proches âgés, handicapés ou malades.

Les soins qu’ils prodiguent, la solidarité dont ils font preuve, au quotidien, et dans l’anonymat, tombent trop souvent dans l’oubli.

 Vous le dites fort à propos, je vous cite :

« [notre] reconnaissance est insuffisante et ne donne lieu qu’à des droits symboliques ».

Ces personnes font face au défi d’une population vieillissante, de plus en plus dépendante : c’est pourquoi la reconnaissance de nos aidants est un enjeu social et sociétal majeur, enjeu auquel nous devons répondre.
Avec Sophie Cluzel, je veux porter une stratégie globale de soutien aux aidants, qui puisse résoudre leurs problèmes de façon globale.

Nous devons reconnaître toute leur place dans le soutien des plus fragiles :

 pour répondre aux difficultés qu’ils éprouvent,

 et pour prévenir leur épuisement, et, pour certains, leur désarroi.

Monsieur Dharréville, votre proposition de loi veut mieux reconnaître socialement les aidants, par l’indemnisation et l’aménagement du congé de proche aidant, et par un élargissement de leurs droits à la retraite.

Assurément, je ne puis que suivre, que saluer l’esprit de votre proposition, bien qu’il faille que nous réfléchissions ensemble à sa faisabilité.

2. Cela étant, Monsieur le Député, votre proposition se concentre sur les seuls aidants salariés, et je crains qu’elle ne prenne pas en compte tous ceux qui ne travaillent pas :

et qui représentent, vous le savez, la moitié des aidants.

En conséquence, je veux vous proposer une approche qui n’abandonne aucun de nos aidants, une approche qui réponde à chaque étape de son parcours, pour répondre à tous leurs besoins,

 depuis l’information jusqu’aux solutions de répit

 en passant, comme vous l’avez très justement souligné, par le soutien dans leur vie professionnelle.

Travaillons ensemble à cette stratégie :

 pour encourager les initiatives innovantes ;

 tout en garantissant des droits effectifs en faveur de tous les aidants, quel que soit le motif de la perte de d’autonomie de la personne aidée.

Ainsi, ce n’est pas seulement l’aidant que nous rassurerons, mais aussi la personne aidée.

3. A ce titre, vous le savez, une mission a été confiée à Madame Dominique Gillot pour faciliter l’embauche et le maintien en emploi des personnes en situation de handicap, ainsi que de leurs aidants.

 Cette mission devrait donner ses conclusions dans les prochaines semaines.

Sur cette base, et sur la base des discussions que nous avons eues avec vous, au Parlement, ainsi que des travaux techniques que mes services mènent,…

  …il s’agira de présenter un ensemble de mesures d’ici l’été, et de consulter tous les acteurs concernés, y compris les partenaires sociaux – dès lors que des mesures concernent l’emploi et les entreprises.

Ces mesures devront servir cinq objectifs :

(i) Mieux informer et communiquer autour des droits des aidants : en effet, je ne peux que constater la méconnaissance par les proches aidants de leurs droits et de dispositifs mis en place pour les accompagner.

 J’ai aussi à l’esprit la réticence, parfois la honte, que certains éprouvent à l’idée de réclamer leurs droits.

 Ayons tous à l’esprit que la République n’est pas un lieu de charité, mais de justice.

(ii) Accompagner et soutenir les aidants au quotidien, en mobilisant tous les acteurs : pairs, établissements sociaux et médico-sociaux, ou encore services à domicile ;

(iii) Mieux repérer et prévenir les risques pesant sur les aidants : cela concerne bien sûr les conjoints de personnes âgées, auxquels une attention particulière doit être apportée,

 mais aussi les aidants salariés exposés au risque de fatigue,

 et enfin les jeunes aidants de parents handicapés qui peuvent être particulièrement exposés et vulnérables ;

(iiii) Développer les solutions de répit, pour permettre aux aidants de souffler sans crainte, et sans culpabilité,
 grâce au maintien d’un accompagnement adapté de la personne aidée ;

(v) Enfin, améliorer l’inclusion professionnelle des aidants en facilitant le maintien ou le retour dans l’emploi,

 en mobilisant notamment les employeurs pour mieux tenir compte de ces problématiques.

 - -
Monsieur le Député,

A la lecture de votre proposition, m’est revenu en mémoire le personnage de Pauline, cette grand-mère grabataire que peint avec réalisme, avec crudité Jean Giono dans son roman, Mort d’un personnage.

Son petit-fils, Angelo, comprend ce qu’est aimer le jour où il l’aide au quotidien, où il l’assiste dans ses soins les plus intimes, et les plus indicibles.

Permettez-moi d’en lire un extrait :

« Pendant des années, je peux dire jusqu’à sa mort, j’ai été à l’affût de son regard. (…) Chaque fois, c’était pour regarder mon front et mes yeux. Plus tard, j’ai cherché son regard comme Orphée Eurydice. »

Votre proposition, Monsieur le Député, est salutaire, et croyez bien que je partage l’intention qui vous anime, et qui est tout à votre honneur.

Mais je ne puis soutenir dans l’immédiat votre proposition de loi qui, par ailleurs, laisse dans l’incertitude le financement de certaines mesures. Le gouvernement propose donc un renvoi en Commission.

Dans le même temps, le gouvernement s’engage, je m’engage, Monsieur le Député :

 à formuler des propositions abordant la problématique des aidants familiaux dans son ensemble,

 et à ce que des mesures législatives soient examinées par votre Assemblée dans les prochains mois.

« Ce n’est pas tant l’aide de nos proches qui nous aide, que notre confiance dans cette aide », disait Epicure.

Redonnons ensemble cette confiance aux plus fragiles de nos concitoyens, et à leurs proches, ces héros sans voix qui les assistent au quotidien.

Pour ce faire, faisons preuve, Monsieur le Député, non seulement de résolution, mais de concertation.

 Les aidants attendent de nous de l’action, mais surtout une action réfléchie.

 Je compte sur vous pour donner à notre réflexion commune le temps qu’elle exige, afin qu’elle soit digne de nos responsabilités.

Je vous remercie.

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