Discours d’Agnès Buzyn - Stratégie de lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes - 13 mars 2018

Ouverture de la concertation et remise des propositions des groupes de travail

Seul le prononce fait foi



Mesdames et Messieurs les élus,


Mesdames et Messieurs les responsables associatifs,


Mesdames et Messieurs les présidents des groupes de travail,


Monsieur le délégué, cher Olivier NOBLECOURT,


Mesdames et Messieurs,


Je suis très heureuse d’être aujourd’hui présente et de vous accueillir dans cette maison qui, je le sais, est aussi devenue un peu la vôtre au fil de cette concertation.


Il y a un peu plus de trois mois en effet, je lançais devant le CNLE cette concertation sur la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes, qui elle-même avait été annoncée le 17 octobre dernier par le Président de la République.


Je tiens aujourd’hui à vous féliciter chaleureusement car vous avez, sous tous les aspects, largement permis la réussite de cette concertation.

Sur la forme d’abord parce que l’implication de tous a été rendue possible



Tous les acteurs avec lesquels j’ai été en contact ont salué la qualité des échanges et des débats que vous avez conduits, Mesdames et Messieurs les présidents, au sein des groupes de travail.


J’avais aussi fait le vœu d’une concertation ancrée dans les territoires, permettant de mettre en commun les expertises et les regards, de valoriser les initiatives à succès, mais aussi, et sans langue de bois, les difficultés, rencontrées par tous ceux qui œuvrent au quotidien dans la lutte contre la pauvreté. Cela a été accompli et dans les délais limités qui étaient les vôtres. J’en ai conscience.
Avec la tenue de neuf rencontres territoriales et une matinée dédiée à l’Outre-mer, les nombreuses visites en région qui ont mobilisé plus de 2 000 acteurs et participants, la concertation a bel et bien permis d’exploiter la vitalité des initiatives de terrain et de faire émerger des propositions.


Je tiens ici à saluer l’implication de toutes les collectivités territoriales, les relais associatifs locaux et les services déconcentrés de l’État qui ont assuré la réussite de cette concertation territoriale.
Il s’agit là d’un premier pas indispensable car demain, c’est au cœur et à partir des territoires que se mettra en œuvre la future stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes.


J’avais également demandé que les jeunes et les personnes accompagnées participent pleinement à la concertation. La participation, assidue et exigeante, des membres du 8e collège du CNLE aux réflexions des groupes de travail, des organisation de jeunesse et les échanges systématiques avec des personnes concernées lors des rencontres territoriales ont permis de satisfaire cette exigence. Elles ont, sans aucun doute, pleinement alimenté notre réflexion à tous, tout comme les miennes lorsque je me suis rendu à la PMI de Plaisir afin d’échanger avec des parents participants au programme « Parler Bambin ».


J’avais enfin émis le souhait que cette concertation ne s’arrête pas à la porte des différents groupes de travail et que chacun puisse apporter sa contribution à la stratégie.


Avec plus de 7 200 contributions, dont près de 7 000 de la part de particuliers, la consultation en ligne a été un réel succès. Surtout, elle a permis aux personnes les plus concernées de se faire entendre.

Sur le fond ensuite



Mesdames et messieurs les présidents des groupes de travail, je vous avais demandé que vos propositions permettent de répondre à l’exigence portée par le Président de la République, celle de rompre avec le déterminisme de la pauvreté.


Vos rapports sont riches et ambitieux. Ils témoignent bien de votre souhait de répondre à une telle exigence.


J’en prendrai bien sûr connaissance de manière approfondie dans les jours qui viennent.


D’ores et déjà, de leur lecture, de nos rencontres, de mes convictions personnelles, de mon métier d’avant et de mes déplacements en tant que ministre, je retiens plusieurs éléments qui constitueront le fil rouge de mon action durant les mois qui viennent :


La pauvreté n’est pas le fruit du hasard.


Elle n’est pas une marque infâmante. Elle naît et se perpétue d’une série de difficultés qui se cumulent, qui s’entretiennent. Elle se nourrit du sentiment d’exclusion, elle vit de la perte de l’espoir. J’ai été témoin, au fil de ma pratique de praticien hospitalier, des difficultés de ces personnes que je soignais et que les soucis de tous ordres empêchaient de suivre correctement leur traitement, de prendre soin d’eux-mêmes comme nous le faisons tous, sans même y penser.


J’ai conçu un plan cancer dont l’objectif était justement de faire en sorte que cette dimension sociale de la prise en charge devienne un élément naturel de notre système de soins. La stratégie que nous allons construire ensemble partira du même constat.


Lorsqu’on lutte contre la pauvreté, on cherche à rétablir un équilibre absent, une confiance rompue. C’est à cela que nous nous attèlerons avec l’attention portée à l’accueil de la petite enfance en crèches, avec l’hébergement d’urgence pour les familles, avec la résorption des bidonvilles, avec l’atténuation des privations matérielles.


Une proposition me semble particulièrement symbolique à cet égard : celle des petits déjeuners le matin pour les enfants. Cela semble modeste mais c’est en fait tout un symbole. Nous sommes tous allés à l’école, n’est-ce pas ? Imaginez-vous suivre des heures de classe le vendre vide ? Apprendre dans ces conditions ? Jouer dans ces conditions ? C’est quelque chose qui me touche particulièrement.


La pauvreté n’est pas le fruit du hasard donc.


Mais de vos travaux, je retiens aussi qu’elle se déclenche parfois lorsque des ruptures surviennent.


Nos systèmes d’aides ne seront pas efficients, aussi sophistiqués et généreux soient-ils (et ils le sont souvent) tant qu’ils laisseront perdurer ces ruptures, tant qu’elles passeront inaperçues et que nous n’interviendrons pas de manière précoce.


Vos rapports et vos propositions le montrent et je ne cite que quelques exemples : mères sorties sans accompagnement et un peu trop tôt de la maternité, femmes seules avec des enfants après un divorce, jeunes décrocheurs, jeunes sortis de l’aide sociale à l’enfance et se retrouvant sans logement… la liste est longue de ces moments où « quelque chose ne se fait pas malgré tout ce qui existe ».


Il faut parvenir à corriger cela. Il faut mieux accompagner. Beaucoup de vos propositions tournent autour de cet enjeu qui est qualitatif davantage que quantitatif.


Il s’agit que l’ensemble des acteurs se parlent, se coordonnent pour que chaque personne sache mieux à qui s’adresser en cas de difficulté : le groupe de Christine Laconde et d’Alain Régnier a proposé des solutions utilisant le numérique pour faire de l’auto signalement et du signalement par des tiers. Je trouve que c’est une bonne idée.


Enfin, je retiens de vos travaux une dernière leçon qui ne date d’ailleurs pas d’hier mais dont il est bon de se souvenir.


On aide les gens lorsqu’on les rend autonomes, capables de voler de leurs propres ailes quel que soit le poids du passé, quel que soit l’âge, l’état de santé, la condition sociale, les choix de vie aussi.


Vous soulignez tous, fort justement, l’enjeu de la participation citoyenne, du pouvoir qu’il s’agit de donner à ceux que certains qualifient d’ « assistés ». Vous avez raison. C’est un grand tournant que la France doit prendre. Nous avons du retard en la matière. Je l’ai constaté aussi dans notre système de santé.


Je tiens à dire une chose à ce propos. Il y a des moments dans la vie, où l’on a besoin d’une aide inconditionnelle, sous forme de droits inconditionnels justement. Et je n’ai aucun problème avec cette inconditionnalité. Elle est la marque d’une société solidaire, elle est la marque d’une dette que nous avons les uns envers les autres. Mais ce qui ne va pas, c’est quand à long terme le système enferme dans des cases. Antoine Dulin en a fait le titre d’un rapport sur les jeunes, sous forme d’un ras le bol et d’une exclamation. « Arrêtez de les mettre dans des cases ! ».


Fiona Lazaar et Antoine Dulin redisent dans leur rapport que l’on crée des freins qui empêchent de sortir de la pauvreté et que les jeunes continuent d’en souffrir beaucoup et particulièrement en France, pas tous les jeunes bien sûr.


Nous devons donc ensemble particulièrement réfléchir à cet enjeu autour des minima sociaux. Comment créer des minima sociaux qui libèrent et qui n’enferment pas ? Comment ne pas empêcher ceux que l’on souhaiter aider ? C’est bien plus sensible que ce que recouvre le terme d’ « activation de la dépense sociale » qui me semble ambigu. C’est soutenir et émanciper en même temps. Vos rapports font ce lien constamment et je m’en réjouis. De gros chantiers sont à cet égard devant nous et ils méritent mieux que des polémiques inutiles, trop souvent entendues et désormais éculées.


Mesdames, Messieurs,


L’heure est maintenant venue pour le Gouvernement, pour le délégué interministériel, que je remercie chaleureusement pour la réussite de cette concertation, et pour moi-même de passer aux actes après vous avoir si largement sollicités. J’aurais aimé vous citer tous mais ce n’était pas possible.
A partir de vos constats et de vos propositions, nous allons dans les prochaines semaines, construire une stratégie nationale dont je souhaite qu’elle marque une étape décisive dans la lutte contre la pauvreté et qu’elle contribue fortement à rompre avec le déterminisme social, dans l’intérêt des enfants et des jeunes et pour l’intérêt de tous.


Nous devrons accorder les moyens nécessaires à cette politique ambitieuse et nous assurer de son impact en mettant en place une méthode d’évaluation rigoureuse. Nous devrons aussi rester collectivement mobilisés au niveau national et sur les territoires pour assurer sa pleine réussite.


La clôture de cette concertation est donc aussi l’ouverture d’une nouvelle étape de nos travaux et je sais pouvoir compter sur votre implication.


Merci à tous d’avoir posé la première pierre de cet édifice. Et merci de votre attention chaleureuse.


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