Discours de Agnès Buzyn - Constitutionnalisation de l’IVG

Le mardi 3 avril 2018
Seul le prononcé fait foi

Monsieur le président de l’Assemblée nationale,

Mesdames et Messieurs les députés,

J’interviens aujourd’hui, devant vous, en tant que ministre des solidarités et de la santé, en tant que femme, et en tant que médecin, pour vous affirmer de nouveau ma conviction, notre conviction :

  l’interruption volontaire de grossesse (IVG) est un droit de la femme, un droit humain.

Ce droit, dorénavant inscrit dans notre patrimoine juridique, garantit la liberté, le respect et la dignité des femmes.

Plus concrètement, il garantit :

  l’accès à l’information, à des services de soins dédiés,

  mais aussi à des IVG sécurisées, qu’elles soient volontaires ou qu’il s’agisse de raisons médicales.

Pourtant, malgré les progrès accomplis ces dernières années, je sais la nécessité, aujourd’hui plus que jamais, de continuer notre combat.

Toutes celles qui le souhaitent doivent pouvoir bénéficier d’une IVG pertinente, sûre, et de qualité :

– quelle que soient leur condition, et quel que soit leur territoire.

1. Ce droit, nous ne devons jamais l’oublier, ne nous a pas été donné. Nous l’avons conquis, au terme d’un combat acharné – et ce au nom de la liberté des femmes.

Rappelons la loi défendue par Simone Veil, promulguée le 17 janvier 1975, qui autorise pour la 1ère fois l’IVG en France.

  Cette loi marque le premier jalon d’une pleine reconnaissance, des droits des femmes.

Cet acquis majeur a permis à toute une génération de femmes, à laquelle j’appartiens, de voir leurs angoisses sortir de la clandestinité,

  à une époque où l’éducation sexuelle était rudimentaire, où nombreuses furent celles hantées par la peur de l’accident.

Surtout, cette loi, fondamentale, a sauvé, et sauve encore, nombre d’entre elles de complications gravissimes parfois mortelles.

Jusqu’alors, les avortements se faisaient dans la honte, discrètement, chez une conseillère du planning familial, longtemps clandestin.

Voilà pourquoi nous devons tout faire pour préserver cet acquis ; et veiller à sa bonne application.

Les mesures mises en place depuis 1975 le rappellent bien, nous devons continuer à rendre effectif ce droit. Je retiens :

­- l’allongement de la durée du délai de 10 à 12 semaines et l’introduction de la méthode médicamenteuse en 2001 ;

­- la suppression de la notion de « situation de détresse » en 2014 ;

­- la prise en charge progressive de l’ensemble des actes liés à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) entre 2012 et 2016 ;

­- et enfin la suppression du délai de réflexion en 2016.

Loin de se reposer sur ces acquis importants, le Gouvernement devra approfondir ces droits pour répondre aux enjeux de notre siècle.

2. S’il n’est pas nécessaire, à mes yeux, de constitutionaliser le droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), nous devons continuer à le défendre, avec vigueur.

2.1. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de constitutionaliser l’IVG : la Constitution nous protège déjà.

Rien ne sert, nous le savons, d’ajouter des espèces, des faits particuliers à la Loi fondamentale, qui, par définition, se doit d’être la plus générale possible.

  L’inflation législative est à éviter à tout prix, a fortiori en matière constitutionnelle.

Qui plus est, dès 2001, l’interruption volontaire de grossesse (IVG) a été reconnue par les sages de la rue Montpensier comme composante, je les cite :

  de « la liberté de la femme qui découle de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen », qui est garantie constitutionnellement au titre des libertés fondamentales.

Aussi le Conseil constitutionnel est-il déjà le garant de l’IVG.

2.2. Cependant, l’IVG fait toujours l’objet de contestations, en paroles comme en actes.

Mon devoir, notre devoir est de répondre sans faiblir à ces attaques ;

  et de défendre avec fermeté :

o dans nos instances nationales, mais aussi dans les instances internationales,

o nos valeurs de dignité et de liberté qui font la fierté de la France.

Je serai de celles qui continueront à se battre :

  contre ceux qui culpabilisent les femmes,

  contre ceux qui rejettent les femmes dans la solitude, la honte et l’angoisse, ceux qui les mettent en danger.

2.3. A l’extérieur, je porterai mon engagement avec la même détermination.

Trop peu de pays disposent d’une législation en faveur de l’IVG ;

  et je constate une regrettable frilosité parmi certains pays européens.

Certes, le Conseil de l’Europe rappelle que, je le cite :

« le choix ultime d’avoir recours ou non à un avortement devrait revenir à la femme, qui devrait disposer des moyens d’exercer ce droit de façon effective. »

Pourtant, je n’ai pas besoin de chercher très loin pour trouver des exemples de mise en danger du droit d’IVG :

­- à Malte, elle demeure interdite,

­- en Irlande, elle n’est permise que lorsque la vie de la mère est en danger,

­- en Pologne, des nouvelles politiques très restrictives en matière d’avortement sont menées,

o et les femmes, en conséquence, sont dans la rue pour revendiquer leur droit.

­ Enfin, je pense aussi à l’Italie, où 4 médecins sur 5 refuseraient de pratiquer l’IVG.

2.4. En parallèle, de vastes vagues d’attaques contre l’avortement se multiplient.

Malheureusement, elles n’épargnent aucun pays – nous le voyons bien en France.

Toutes les ruses sont utilisées : je pense en particulier aux sites de désinformation et aux campagnes sur les réseaux sociaux. J’y reviendrai.

Ces contestations, ces régressions nous rappellent que le combat est loin d’être achevé pour que chaque femme puisse jouir de son droit :

­- à la vie privée,

­- à la santé,

­- et à la liberté de prendre ses propres décisions.

J’y vois, non seulement d’un enjeu majeur de santé publique,

  mais aussi de respect des droits des femmes, de leur autonomie.

3. C’est pourquoi je veillerai à ce que l’accès à l’IVG demeure toujours possible, dans notre pays, pour toutes les femmes

– ce grâce à une offre accessible, diversifiée et de proximité.

3.1. En effet, nous devons rendre l’IVG plus accessible, en réduisant les délais des rendez-vous, et en diversifiant :

  les lieux de prise en charge ;

  mais aussi l’offre, afin que chaque femme bénéficie d’une procédure conforme à ses besoins, et à sa volonté.

Je poursuivrai nos efforts en matière d’information relatives aux différentes méthodes d’IVG ; et je lutterai contre la désinformation sur Internet.

Chacune de nos concitoyennes doit pouvoir prendre une décision éclairée et responsable.

Parce que l’entrave n’est plus seulement physique, parce qu’elle prend des formes diverses, insidieuses, le délit d’entrave a été rénové en 2017, contre les pratiques de désinformation.

  Elles sont, trop souvent, à l’origine de pression psychologique sur les femmes et leur entourage.

En ce sens, nous avons déjà fait de réels progrès réels :

  grâce à un site internet ad hoc, et au numéro national gratuit et anonyme « Sexualité, contraception, IVG ».

Je pense aussi :

­- à l’ouverture des IVG instrumentales aux centres de santé ;

  ou encore à l’extension des compétences des sages-femmes en ce qui concerne l’IVG médicamenteuse.

Enfin, le projet de loi de ratification de l’ordonnance étendant la Loi de modernisation de notre système de santé (LMSS) outre-mer est déposé devant le Sénat.

  Ce projet est d’importance, puisqu’il étend en Nouvelle-Calédonie et Polynésie française les compétences des sages-femmes pour pratiquer l’IVG médicamenteuse.

Cela étant, ces mesures ne doivent pas rester de vains mots, et je ferai en sorte :
­- qu’elles soient effectives sur le terrain,

­- qu’elles soient une réalité pour les femmes sur tout le territoire.

Précisément, les agences régionales de santé (ARS) ont mis en place leurs plans régionaux (PRS) pour l’accès à l’IVG afin de faire de l’accès une priorité d’action territoriale.

3.2. J’ai une pensée, toute particulière, pour les jeunes femmes, et pour les femmes les plus éloignées de notre système de santé.

Toutes doivent pouvoir, en toute confiance, accéder à leurs droits.

(i) Nous ne devons, en aucun cas, renoncer aux principes de confidentialité et d’anonymat dans les parcours proposés.

  A mes yeux, l’anonymisation du parcours est un gage essentiel de protection pour les mineures vulnérables afin :

o de les protéger de la pression de leur entourage ;

o et de les libérer de tout sentiment de honte.

(ii) Tous ces enjeux que j’ai rapidement évoqués doivent aussi lutter contre les inégalités socio-économiques.

Vous le savez, elles se manifestent :

  non seulement dans l’usage des moyens de contraception ;

  mais aussi dans l’accès à une information fiable, pour lutter contre les fausses représentations.

4. Enfin, plus largement, considérer l’accès à l’IVG comme un objectif détaché des autres enjeux relatifs à la santé sexuelle serait une erreur.

La santé sexuelle, dans son ensemble, est un enjeu central et transversal.

J’engage une démarche globale pour garantir à chacune, à chacun :

  une vie sexuelle autonome, responsable et sans danger,

  ainsi que le respect des droits individuels en la matière.

C’est tout l’enjeu de la feuille de route en santé sexuelle qui sera prochainement rendue publique.

  Elle déclinera la priorité prévention que j’ai présenté il y a peu aux côtés du Premier ministre.

Plus spécifiquement, nous devons adopter une approche davantage positive de la santé sexuelle, centrée sur l’éducation à la sexualité.

  Les femmes, et plus généralement les couples, doivent pouvoir choisir quand, et à quel moment, ils peuvent avoir un enfant. Ceci passe par la prévention et la planification.

5. Il m’apparait ainsi indispensable de rappeler mon soutien, notre soutien et notre partenariat avec le Mouvement français du Planning Familial (MFPF).

Depuis 1960, ce mouvement milite pour que chaque personne puisse vivre une sexualité épanouie à l’abri des grossesses non prévues et des infections sexuellement transmissibles (IST).

De plus, il participe activement aux actions portées par la stratégie nationale de santé sexuelle.

6. J’aimerais enfin rappeler l’importance du décret Polynésie Nouvelle-Calédonie, ainsi que les moyens apportés à Mayotte et en Guyane, et dans les territoires ultramarins en général.

Pour renforcer l’information et l’accès à la planification des femmes, plusieurs leviers ont déjà été mis en place :

6.1. Pour développer l’accès à l’information et aux soins, prévenir les grossesses non prévues et les infections sexuellement transmissibles (IST) :

  une convention entre le ministère des outre-mer et le Mouvement français du Planning Familial (MFPF), pour 2017-2019, a été signée.

6.2. Pour renforcer le planning familial à proprement parler, mission qui relève de la protection maternelle et infantile (PMI), plusieurs mesures ont également été prévues :

  le versement du montant de la compensation financière pour 2009-2017, au titre du transfert de compétence de la protection maternelle et infantile (PMI), qui sera étalé sur trois ans à compter de 2018 ;

  ainsi que le droit à compensation pérenne pour 2018 (120 millions euros), acté par l’Etat dans la loi de finances pour 2018.

Ces moyens supplémentaires prévus permettront aux services départementaux de mieux répondre au renforcement des moyens du planning familial.

  En outre, le centre hospitalier de Mayotte (CHM) a prévu de s’engager par convention avec le Département de Mayotte pour aider à la mise en œuvre de la protection maternelle et infantile (PMI).
o Cette convention prévoit le recrutement et la mise à disposition de personnels de sages-femmes et de médecins (généralistes).


Mesdames et Messieurs les députés,

Nous avons devant nous un enjeu majeur.

Il nous concerne tous, il nous oblige à renforcer l’engagement des professionnels et de la société civile, pour que chaque femme, quelle qu’elle soit, puisse bénéficier d’un droit effectif en matière d’IVG.

« Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement (…). C’est toujours un drame et cela restera toujours un drame. »

Nous connaissons tous ces mots de Simone Veil, prononcés dans votre hémicycle.

  Ils résonnent en moi avec une certaine modernité, puisque l’enjeu et le défi restent entiers.

D’aucuns ont vu dans l’année 2017 l’année où la cause des femmes fut mise, enfin, en lumière.

  A nous, revient la responsabilité de maintenir cette lumière, de veiller à ce qu’elle ne s’éteigne pas.

Je vous remercie.

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