Discours d’Agnès Buzyn, 12ème congrès international d’addictologie l’Albatros, Mercredi 06 juin 2018

Seul le prononce fait foi

Monsieur le Fondateur et coordonnateur du congrès de l’Albatros, cher Professeur Amine Benyamina,

Mesdames et Messieurs les membres du Comité scientifique,

Mesdames et Messieurs les professionnels de santé,

Mesdames, Messieurs,

Une fois n’est pas coutume, permettez-moi de citer l’un de nos plus grands poètes : Charles Baudelaire.

« L’un agace son bec avec un brûle-gueule,
L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait !
Le Poète est semblable au prince des nuées (…)

Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher. »

L’Albatros de Baudelaire m’a semblé intéressant,

  pas tant pour ce nom que vous avez en commun,

­ mais pour l’évocation du « brûle-gueule », illustration s’il en est du drame humain qu’est l’addiction,

­ et pour l’évocation de la stigmatisation partagée du poète et du toxicomane.
1. C’est pour enrayer cela que dans le cadre du Plan National de Santé Publique,

Nous avons voulu favoriser les bons choix par une meilleure information ; et un meilleur accompagnement des jeunes face aux conduites à risque.

Pour cela, il était important :

­ d’agir sur la fiscalité, ce que j’ai fait, en portant progressivement le prix du paquet de cigarettes à 10 €.

­ Il était également important de mieux protéger les mineurs face aux addictions en mettant en place des dispositifs d’observation et d’évaluation.

1.1. Et, pour ce faire, nous devons favoriser les bons choix par une école davantage promotrice de santé, ce à quoi je travaille avec mon collègue Jean-Michel Blanquer.

Je pense ici :

  au développement des compétences psychosociales dès l’âge scolaire ;

  aux actions d’information et de sensibilisation en milieu scolaire, notamment par les pairs, les « ambassadeurs de santé » ;

  et, enfin, au déploiement d’un service sanitaire pour tous les étudiants en santé qui forme une nouvelle génération de professionnels de santé, rompue à la pratique de la prévention, et qui les fasse intervenir en milieu scolaire.

1.2. Par ailleurs, j’ai souhaité :

­ qu’un accompagnement spécialisé soit systématiquement proposé aux jeunes lors de leur passage aux urgences pour cause d’alcoolisation excessive,
­ ainsi qu’un renforcement de l’intervention des consultations « jeunes consommateurs » sur le territoire.

1.3. Enfin, nous avons élargi l’offre de service d’aide à l’arrêt du tabac ; en mobilisant les dispositifs compétents – je pense en particulier aux services de santé universitaire.

2. Je veux insister sur les niveaux de consommation des produits psychoactifs dans notre pays, qui me préoccupent beaucoup,

  d’autant qu’ils sont globalement supérieurs à la moyenne des autres pays européens, et en particulier chez les jeunes.

 La moitié des jeunes de 17 ans interrogés ont connu une alcoolisation ponctuelle massive au cours du mois précédent, et près de 4 adolescents sur 10 ont déjà fumé du cannabis.

2.1. Or c’est une période de la vie où la consommation peut causer de lourds dommages (troubles du développement, de l’apprentissage ou de la socialisation).

 Il est clair que plus une dépendance se déclare tôt, plus il est difficile de s’en défaire.

Le Docteur Geneviève Lafaye le dit très bien, je la cite : « Dans les addictions, le but est d’intervenir le plus tôt possible lorsqu’on voit des sujets à risques, et de les prendre en charge de la façon la plus adaptée possible en fonction de leur terrain »

 Il est donc primordial de renforcer l’intervention précoce.

2.2. C’est pourquoi nous devons poursuivre notre politique de réduction des risques et des dommages – et je pense en particulier à ceux qui s’injectent.

La mise à disposition de matériel stérile a été un progrès majeur du milieu des années 1980 ;
  et elle constitue toujours l’un des moyens d’action les plus efficaces pour éviter les contaminations par le VHC et le VIH.

Cette mise à disposition assure également un lien entre usagers de drogues et professionnels du soin et du médico-social.

  Cette étape marque souvent le premier pas pour les accompagner vers des traitements de substitution, ou vers le sevrage

  et, surtout, pour les encourager à se faire dépister.

  C’est aussi le premier pas vers une démarche de soins somatique ou psychologique et pour bénéficier d’un accompagnement social.

Mais vous le savez tous, les produits consommés, les modalités de consommation et les profils des usagers évoluent régulièrement.
Nous nous devons de rester attentifs à ces évolutions afin de développer des dispositifs en prise avec les réalités sociales, et qui soient en capacité de répondre aux besoins du moment.
  Dans cette optique, plusieurs ARS ont mis en place un programme de RDRD (réduction des risques et des dommages) « à distance » permettant d’atteindre des personnes jusque-là non prises en charge dans les structures existantes.

  C’est dans cette optique que la France est devenue le 10e pays à ouvrir des salles de consommation à moindre risque (SCMR).

o Les deux salles expérimentales, à Paris et à Strasbourg, ont déjà, à un an, des résultats très positifs mais ces projets par leur nature nécessitent un soutien et une vigilance continue.

  L’innovation en la matière passe aussi par les nouveaux produits devant répondre efficacement au risque de surdose.

o Agir dans l’attente des secours médicaux et sauver des vies est dorénavant possible grâce à la naloxone.
o Depuis cette année, ce médicament est accessible aux usagers à risque de surdose :

 dans les CSAPA (centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie),

 dans les CAARUD (Centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques des usagers de drogues),

 dans les services hospitaliers d’addictologie,

 et dans les unités sanitaires en milieu pénitentiaire.

Il nous faudra poursuivre cette diffusion ; mais aussi poursuivre la formation des professionnels et des intervenants.

3. Par ailleurs, parce que la première addiction est celle du tabac et parce que vous connaissez mon combat

3.1. Je rappellerai quelques chiffres et données essentiels :

­ le tabac tue chaque jour 200 personnes et plus de 73 000 par an.

­ Il est la 1ère cause de cancer et la 2ème cause de maladie cardio-vasculaire.

3.2. C’est pourquoi le gouvernement s’engagera dans un deuxième Plan National de Réduction du tabac (PNRT2).

 Ainsi, passer du forfait d’aide au sevrage de 150€, par an et par assuré, à un remboursement classique de droit commun permet d’harmoniser les prix des produits de substitutions ;

 et de réduire les inégalités d’accès aux traitements.

 Intensifier l’opération « Moi(s) sans tabac » permet, pour sa part, à plusieurs centaines de milliers de fumeurs d’essayer d’arrêter.
4. Enfin, parce que vous vous êtes intéressés à la santé mentale au cours de ces journées,

Je veux vous redire ma détermination en la matière ; j’ai décidé d’assurer personnellement la présidence d’une instance nationale : le comité stratégique de psychiatrie et de santé mentale.

  Je réunirai ce comité une fois par an, pour faire le point sur l’ensemble des actions engagées.

  Dans 20 jours, le 28 juin, se tiendra la 1ère réunion, à partir de laquelle je déclinerai la feuille de route opérationnelle.

Ce plan d’actions devra changer le regard porté sur les maladies de l’âme, sur nos patients, trop souvent stigmatisés.

La psychiatrie ne sera plus le parent pauvre : soyez-en assurés.

Mesdames, Messieurs,

Malheureusement, nous savons que certains jeunes pensent que fumer est « cool », que « ça fait bien » : ils aiment tester et dépasser les limites de leur corps.

Pourtant, le philosophe Jankélévitch nous mettait déjà en garde contre les dangers de l’anticonformisme, de la normalisation des conduites addictives. Je le cite :

« De tous les conformismes, le conformisme du non-conformisme est le plus hypocrite et le plus répandu aujourd’hui.

C’est cela le Diable qui nous épie, nous surveille, et nous guette… ».

Parler de « diable » m’apparaît tout à fait juste, tant j’ai vu, à l’hôpital, l’horreur, les souffrances suscitées par les addictions.
Nous avons été jeunes – et nous le sommes encore un peu, du moins je l’espère ! – : nous tous ici, nous comprenons donc très bien que l’anticonformisme fasse partie de la jeunesse.

Pour autant, il ne faudrait pas que des tentations, des provocations, des transgressions d’apparence anodines, deviennent un jour mortelles.

Depuis de nombreuses années, vous le savez, j’ai fait de la lutte contre le tabac un combat personnel.

Que ce soit à Necker, à l’Institut du Cancer, à la Haute Autorité de Santé, ou au ministère, j’ai vu l’ampleur des actions mises en œuvre par vous tous : professeurs, chercheurs, médecins, acteurs nationaux, acteurs locaux.

Merci pour votre engagement, au quotidien :

  en faveur de la guérison,

  et, plus important encore, en faveur de la prévention, dont j’ai fait l’axe premier, l’axe prioritaire de ma politique.

Pour venir à bout de ce fléau terrible, le fléau de l’addiction, qui rend l’humain dépendant, esclave de ce qui le tue,

  je suis sereine, et déterminée, car je sais que je peux compter sur vous.

Je vous remercie.

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