Discours d’Agnès Buzyn - Inauguration des nouveaux locaux du Conseil National de l’Ordre de Médecins (CNOM), le 11 janvier 2018

seul le prononcé fait foi

Monsieur le Président (cher Patrick Bouet),

Mesdames, messieurs les conseillers,

Chers collègues,

Mesdames, messieurs,

« La force qui est en chacun de nous est notre plus grand médecin. »

  Ayons à l’esprit pour 2018 ces mots d’Hippocrate, au nom duquel nous tous – et moi-même, puisque je fais partie de vos membres – avons prêté serment.

Cette nouvelle année sera celle d’un système de santé plus audacieux, qui saura encore mieux concilier les impératifs de solidarité, de qualité, de sécurité, et de pertinence des soins.

Mes meilleurs vœux, à vous tous et à vous toutes.

1. Je vous le disais déjà, lors de votre congrès, le 19 octobre dernier : votre Ordre a toute sa place dans ce nouveau paysage que nous dessinons, celui de la santé de demain.

Je crois pouvoir dire que nos relations sont bonnes, très bonnes même : je sais pouvoir compter sur vous pour que nos chantiers communs, en 2018, évoluent dans le bon sens.
L’importance de l’Ordre des médecins pour notre système de santé est connue de tous :

  Vous réunissez tous les médecins, quel que soit leur mode d’exercice, et quelle que soit leur spécialité.

  Vous êtes garants de la probité et de la compétence, indispensables à l’exercice de la médecine.

  Plus précisément, vous veillez au respect des règles édictées par le code de déontologie.

Si ces missions sont exigeantes, c’est bien parce qu’elles nous rappellent constamment que nous œuvrons au bénéfice de l’ensemble de nos concitoyens.

Aux yeux des Français, en effet, les médecins sont bien davantage que de simples praticiens :

  Les médecins sont ces hommes et ces femmes à qui tout un chacun peut confier ses peurs les plus enfouies.

  Une très grande majorité de Français nous font confiance. Cette foi dans la parole médicale atteste :

o des espoirs qui reposent sur vous, sur nous tous,

o et de la responsabilité qui nous incombe.

2. Avant d’en venir à ces chantiers, permettez-moi, tout d’abord, de saluer la fin de chantiers plus concrets, à savoir l’ouverture de vos tout nouveaux locaux.

« Les mots ne bâtissent pas de murs », disait le poète Cratinos : force m’est d’admettre que le plus beau des discours n’aurait que peu de résonnance sans ces magnifiques locaux, que vous occupez depuis maintenant 4 mois.
Ces 4 800 mètres carrés, cher Patrick Bouet, reflètent votre volonté de voir tous vos collaborateurs, et tous les élus, réunis en même temps, sur un même site, pour une activité commune.

Grâce à ces locaux, vous avez pu réserver – et c’est à souligner – une salle distincte, propre à accueillir la chambre disciplinaire nationale.

Mais venons-en maintenant, chers collègues, aux chantiers de santé.

3. Pour bâtir haut, il faut creuser profond : c’est pourquoi le premier de ces chantiers, cela va sans dire, c’est celui de la stratégie nationale de santé (SNS).

A cet égard, je vous remercie une nouvelle fois d’y avoir contribué, d’avoir éclairé de votre regard les enjeux de demain. Certes, la stratégie a été publiée par décret, à la fin du mois dernier.

  Pour autant, le plus dur commence : elle n’est encore qu’un cadre stratégique et maintenant arrive la phase de déploiement.

  Maintenant, il nous faut décliner concrètement cette stratégie, et l’appliquer, pour qu’elle joue tout son rôle, et renforce la cohérence et la qualité de nos politiques de santé.

Dès cette année, elle sera mise en œuvre dans les territoires, via les projets régionaux de santé (PRS), qui seront définis par les Agences régionales de santé (ARS) dans le courant du premier semestre.

Au niveau national, la stratégie sera traduite en mesures concrètes dans le cadre des plans et des programmes que nous allons élaborer.

A ce titre, vous connaissez déjà les 4 priorités :

  Mettre en place une politique de promotion de la santé, incluant la prévention, dans tous les milieux et tout au long de la vie ;

  Lutter contre les inégalités sociales, et territoriales, d’accès à la santé ;
  Garantir la qualité, la sécurité, et la pertinence des prises en charge au bénéfice de la population ;

  Innover pour transformer notre système de santé en réaffirmant la place des usagers.

J’aimerais m’arrêter sur deux d’entre elles.

4. En premier lieu, la prévention et la promotion de la santé doivent irriguer notre système de santé et les parcours de vie.

4.1. Tous les jours, vous êtes confrontés à des parents qui doutent de la nécessité de la vaccination.

Je compte sur vous pour faire œuvre de pédagogie auprès des familles.

Soyez, face à leurs inquiétudes, les ambassadeurs de la prévention, de la promotion de la santé, mais aussi de la science et du rationnel qui perd du terrain dans nos sociétés face à l’obscurantisme.

La plupart d’entre vous sont déjà conscients de cette nécessité. Il va falloir dorénavant poursuivre vos efforts, les redoubler.

Les familles vous questionnent au sujet de trois enjeux :

  la pertinence des vaccins,

  leurs risques,

  ainsi que la pertinence de leur caractère obligatoire.

(i) Sur la pertinence des vaccins, vous connaissez déjà les arguments à même de convaincre les parents :

Grâce à votre travail de pédagogie, la majorité des parents eux-mêmes font vacciner leur enfant, en suivant le calendrier vaccinal.

Ainsi, grâce à vous, la grande majorité des enfants reçoivent déjà les 11 vaccins nécessaires.

Sur les effets secondaires, ils sont extrêmement rares, et les vaccins depuis plusieurs décennies font l’objet d’une surveillance internationale qui doit nous rassurer.

(ii) Sur la pertinence de leur obligation, je n’ignore pas les doutes qu’expriment certains Français, voire certains médecins.

Pour autant, une étude récente a révélé que sans cette injonction juridique, le taux de vaccination contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite (DTP) diminuerait de 15%, ce qui serait catastrophique.

J’assume cette extension vaccinale, pour que les parents ne se posent plus de questions, entre vaccins recommandés et vaccins obligatoires.

Cette distinction, pour beaucoup de parents, est source de confusion :

  nombre d’entre eux pensent que les vaccins recommandés sont facultatifs.

Or, si ces 8 vaccins ont par le passé été recommandés, c’est parce qu’à cette époque, la population avait encore confiance en la vaccination.

Au contraire, force est d’observer qu’aujourd’hui, les jeunes générations n’ont plus cette confiance, peut-être parce qu’elles n’ont pas connu la gravité de ces infections.

  Aussi hésitent-elles davantage à vacciner leurs propres enfants, alors qu’elles sont souvent elles même vaccinées.
Pour éviter des drames, pour éviter des morts inutiles et évitables, je veillerai à vous donner tous les moyens possibles pour convaincre les parents. L’obligation va certainement vous aider à expliquer les enjeux.

Je vous le redis, chers collègues, j’assume de sauver leurs enfants, nos enfants, et j’en suis fière.

Pour autant, j’ai moi aussi besoin de vous, pour que dans chaque famille, dans chaque territoire, la nécessité de la vaccination soit comprise, pour n’exclure personne de la protection vaccinale.

4.2. Votre rôle, par ailleurs, est tout aussi majeur dans la vaccination contre la grippe.

Ne pas se vacciner, c’est compter sur la vaccination des autres pour ne pas être exposé.

Or, vous le savez, seul un quart des professionnels sont couverts – ce taux recouvrant lui-même de fortes disparités selon les professions.

Cette couverture contribue pourtant à protéger du virus les personnes fragiles, qu’ils soient chez eux ou hébergées dans des structures médicales ou médico-sociales.

Parce que ce bénéfice collectif est primordial, j’enjoins les professionnels, je vous enjoins d’adopter une conduite exemplaire, en veillant à ne pas propager involontairement l’infection. C’est pour moi principalement un enjeu déontologique.

A ce titre, j’ai rappelé aux responsables d’établissements qu’ils devaient faciliter et organiser l’accès à la vaccination pour leur personnel.

  Si nous ne voulons pas rendre la vaccination grippale obligatoire pour les professionnels de santé, nous devons absolument tout faire pour améliorer le taux de professionnels vaccinés :

o je compte sur vous.

4.3. 2018, enfin, verra la mise en œuvre du « plan national de santé publique ».

Ce plan donnera de la cohérence et de la lisibilité aux très nombreux plans existants :

– l’objectif sera d’en simplifier le suivi et d’en assurer le financement.

  Là aussi, chers collègues, vous serez en première ligne.

5. J’aimerais maintenant revenir sur le deuxième axe de la stratégie.

Vous le savez, notre pays reste marqué par de fortes inégalités de santé, sociales et territoriales.

(i) Vous et moi sommes d’accord sur la nécessité :

  d’apporter un parcours de soins lisible aux usagers,

  mais aussi de permettre aux professionnels de construire des projets professionnels diversifiés et évolutifs.

A cet égard, le développement des stages extrahospitaliers des étudiants en médecine les immergeront, de façon précoce, dans les lieux d’exercice hors hôpital.

(ii) Nous mettrons en œuvre, dès cette année, la révolution numérique en santé :

  Le passage de la télémédecine dans le droit commun, en association avec la diffusion des outils numériques de coordination, répond à cet objectif.

  Là aussi, je me réjouis que vous prôniez également l’utilisation du numérique dans les projets de territoire :

o en uniformisant l’accès au haut débit,

o en rendant obligatoire le Dossier Médical Partagé (DMP) pour tous les assurés sociaux,

o et en favorisant l‘équipement des cabinets, notamment en messageries sécurisées de santé (MSS).

  Comme vous, j’ai la conviction que la mise en commun des dossiers, même entre professionnels exerçant dans des sites différents, doit constituer la base d’une équipe de soins.

(iii) Nous favoriserons une meilleure organisation des professions de santé :

  les mesures que je proposerai seront combinées dans des projets de territoire, adaptés aux caractéristiques locales.

Ces projets porteront aussi sur l’aménagement du territoire :

  aussi seront-ils construits avec les professionnels de santé, les élus et les institutions de l’Etat – je pense, en premier lieu, aux ARS.

(iv) Nous ferons confiance aux acteurs des territoires pour construire des projets et innover.

Je sais votre attention à ce que le maillage territorial ne soit pas trop étroit et atteigne une taille critique située au niveau des bassins de vie. C’est aussi mon opinion.

J’aurai à l’esprit votre souhait de voir,

  à la place de regroupements professionnels de grande taille,

  plutôt des « stratégies de territoire » où les acteurs coopèreront – je pense également à ceux en cabinet individuel.

(v) Je tiens, plus généralement, à vous remercier pour votre coopération fructueuse pendant la préparation du plan d’accès aux soins. Je pense en particulier à :

  votre engagement pour faciliter l’exercice multi-site des médecins libéraux ; qui est une mesure nécessaire pour combler les manques,

  ainsi que votre accord pour étendre le statut de médecin assistant aux « zones sous dotées » : ce qui était jusque-là une disposition dérogatoire sera enfin acté dans la loi.

Cette extension est d’autant plus nécessaire que, comme vous le savez, le nombre de médecins généralistes diminuera jusqu’en 2025.

Enfin, j’ai pleine confiance dans votre résolution à combattre les refus de soins, et à rappeler à chacun de vos membres qu’il doit apporter son concours en toutes circonstances :

– je pense en particulier aux patients bénéficiant de la Couverture maladie universelle (CMU). C’est là encore un enjeu déontologique.

Toutes ces attentes, pour un système à la fois sanitaire et solidaire, 2018 devra y répondre, par la mise en place effective sur le terrain du plan d’accès aux soins.
L’attente de nos concitoyens est immense !

  Le comité de pilotage de février, que je présiderai, proposera un plan détaillé d’action. Je compte, là aussi, sur votre implication.

6. Par ailleurs, je me réjouis, Monsieur le Président, que vous insistiez sur la formation, que vous voyez comme la 5e priorité de la stratégie nationale de santé (SNS).

Je la vois plutôt comme le socle, permettant de bâtir les 4 autres axes, de les déployer.

  Soyez assuré, cher Patrick Bouet, que je défendrai l’offre de soins dans toute sa pluralité de formation.

  Je veillerai à faire émerger, pour reprendre vos mots, une « culture de la coopération entre professionnels de santé ».

  Surtout, je me réjouis de voir la synergie dont attestent déjà, à ce jour, les nombreux partenariats publics-privés.

o La souplesse laissée à ce jour demeure dans les partenariats, à mes yeux, le meilleur moyen de répondre aux besoins des territoires, dans toute leur variété.
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Mesdames, Messieurs,

Seul celui qui n’a pas bâti de maison croit que les murs sortent de terre.

  A voir la beauté de vos locaux, je sais que cet adage ne vous concerne pas, et que vous mesurez l’ampleur des chantiers à mener cette année.

Or, un édifice bâti sur l’inégalité, sur l’injustice, ou sur la perte de confiance est condamné à s’écrouler.

  Précisément, être médecin, c’est être responsable : c’est sentir, en posant sa pierre, que l’on contribue à bâtir un système de santé plus solidaire.

Vous le savez, je reviens tout juste d’Asie, où l’on dit que ce ne sont pas les pierres qui bâtissent les maisons, mais les hôtes.

  Or l’hôte, ce n’est pas seulement vous qui m’accueillez, mais aussi moi qui suis accueillie, ici, chez vous.

Aussi suis-je certaine que vos efforts, comme les miens, pour répondre aux attentes des Français, feront de 2018 une année de succès.

Je vous remercie.

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