Bulletin Officiel n°2002-17Direction générale de la santé
Sous-direction de la gestion
des risques des milieux
Bureau SD 7 D

Avis du conseil supérieur d'hygiène publique de France, sur le projet de décret relatif à la protection des personnes contre les dangers des rayonnements ionisants (avis du 22 novembre 2001) (1)

SP 4 436
1609

NOR : MESP0230179V

(Texte non paru au Journal officiel)

(Journal officiel du ) Dans le cadre de la transposition de la directive européenne 96/29, un projet de décret modifiant le code de la santé publique a été soumis pour avis au conseil supérieur d'hygiène publique de France.
Le présent avis comporte quelques questions de fond et d'autres points particuliers, souvent de pure forme. Ces derniers n'en sont pas moins importants.

1. Expression « activité nucléaire »

Le conseil déplore que le terme de « pratique », introduit par la directive EURATOM 96/29, ait été abandonné par la législation française (art. L. 1333-1 du code de santé publique) et par le projet de décret de transposition, en lui substituant l'expression impropre d'« activité nucléaire », dans laquelle aucun des deux mots n'est convenable :

2. Limites de dose (art. R. 43-4)

Le conseil prend acte que la limite de 1mSv par an ait été inscrite dans la directive 96/29 et récemment dans la réglementation nationale (décret du 8 mars 2001 complétant le décret du 20 juin 1966). Il souhaiterait cependant attirer l'attention des pouvoirs publics sur le caractère arbitraire de cette limite et sur les effets pervers qu'une valeur aussi basse est susceptible d'engendrer.
Cette limite n'a pas de réel fondement scientifique. Elle a été proposée dans un souci de prudence dans la recommandation 60 de la commission internationale de protection radiologique (CIPR), il y a plus de dix ans, en postulant une équivalence sanitaire entre les effets collectifs d'une petite dose délivrée à beaucoup d'individus, et ceux d'une forte dose délivrée à peu d'individus. Les différents travaux de recherche menés depuis conduisent à reconsidérer ce concept et le Président de la CIPR lui-même préconise un retour à la prééminence du risque individuel par rapport au risque collectif.
La valeur de 1 mSv risque, comme c'est presque toujours le cas, d'être interprétée comme un seuil de dangerosité, alors qu'elle est largement inférieure aux variations de l'exposition naturelle sur le territoire national et qu'aucun effet sur la santé n'a été mis en évidence au dessous de 100 mSv avec nos moyens actuels. Il en résulte que si ce risque existe, il est certainement très faible. Le Conseil insiste donc sur la nécessité d'une information soutenue du public sur ce que cette valeur représente réellement et sur le fait qu'elle peut être largement dépassée sans conséquence sanitaire prévisible.
Une valeur aussi basse conduit à soupçonner de dangerosité des activités considérées par toutes les autorités sanitaires comme absolument sans danger (comme boire certaines eaux minérales). De plus, étant inférieure aux variations de l'irradiation naturelle sur notre territoire (sans parler de pays où celle-ci dépasse 20 mSv/an apparemment sans dommage sur la santé), elle conduit à un système de radioprotection incohérent dans lequel la collectivité pourrait dépenser des ressources considérables pour éviter à certains de très faibles expositions, mais écarte de sa réglementation les expositions bien supérieures que « subissent » en permanence des millions de nos compatriotes du fait de l'irradiation naturelle.

3. Article R. 43-6

Tel qu'il est actuellement rédigé, l'article R. 43-6 laisse à entendre que le réseau national envisagé serait directement l'acteur de mesures de radioactivité et de l'estimation des doses à la population, et qu'il pourrait être sollicité pour faire ces mesures et estimations, par les collectivités territoriales, les services de l'Etat et ses établissements publics (ce qui ne serait pas anormal) mais aussi par des associations.
Le conseil croit comprendre que dans l'esprit des rédacteurs du projet de décret, il s'agit en réalité de mettre en place un réseau de collecte et de diffusion de données concernant des mesures de radioactivité et des estimations des doses à la population ; et que ce réseau pourrait être alimenté par des données provenant soit de mesures effectuées à la demande des pouvoirs publics (collectivités territoriales, services de l'Etat, établissements publics) soit à la demande (ou par) des associations indépendantes. Si c'est bien ce qu'ont voulu dire les rédacteurs, le conseil approuve cet article mais recommande :

4. Seuils de libération (art. R. 43-7)

Dans son article 5.2, la directive européenne 96/29 offre aux autorités nationales la possibilité de fixer des seuils de libération, en dessous desquels sont autorisés l'élimination, le recyclage ou la réutilisation de substances radioactives ou de matières en contenant, issues d'une pratique soumise à l'obligation de déclaration ou d'autorisation. Le projet examiné pour avis ne reprend pas cette disposition tout en accordant un régime dérogatoire (exemption d'autorisation ou de déclaration) aux pratiques mettant en oeuvre des quantités de radionucléides inférieures aux valeurs d'exemption indiquées en annexe. Ainsi, une même quantité de radionucléides sera traitée comme un déchet banal ou bien comme un déchet TFA (très faiblement radioactif) avec une procédure contraignante d'élimination vers un site dédié de l'ANDRA ou vers une autre INB, selon que le producteur sera entré ou non dans le système de radioprotection. Il y a là inégalité de traitement par la réglementation, en fonction de l'une ou l'autre des deux situations.
Le conseil propose que soit examinée selon chaque filière, une procédure d'approbation de seuils de libération, compatibles avec la santé publique et la cohérence réglementaire.

5. Autres remarques concernant l'article R. 43-7

La cohérence du nouveau paragraphe b de cet article avec l'arrêté du 31 décembre 1999 (JO du 15 février 2000, p. 2359) doit être vérifiée et, le cas échéant assurée.
Le conseil rappelle l'importance du cas des patients sortants d'un service de médecine nucléaire et libérant par là-même des quantités notables d'effluents radioactifs, la nécessité d'informer le patient et de lui donner des recommandations écrites sur ce qu'il doit faire pour limiter l'irradiation et la contamination de ses proches. Ce point, qui n'a pas été abordé dans ce décret, devra être analysé dans la transposition de la directive 97/43.
Le paragraphe :
« Lorsque l'activité est susceptible de générer des rejets d'effluents liquides ou gazeux ou des déchets contaminés, les personnes du public en sont informés »,
doit être complété en précisant les modalités d'information des dites personnes du public (éventuellement en prévoyant un arrêté complémentaire).

6. Etanchéité (art. R. 43-10)

L'étanchéité d'un bâtiment, sans précision, étant généralement comprise comme étanchéité à l'eau, le conseil propose de préciser à la fin de ce paragraphe :
Ces mesures doivent être répétées tous les dix ans et, le cas échéant, chaque fois que sont réalisés des travaux modifiant la ventilation des lieux ou l'étanchéité du bâtiment au radon.

7. Marquage des sources (art. R. 43-22)

Compte tenu du nombre d'accidents d'exposition par des sources industrielles ou médicales et de leur gravité, le conseil insiste sur le fait que les sources devraient être marquées d'un signe universel de dangerosité de type « tête de mort », après étude de faisabilité.

8. Perte ou vol de sources (art. R. 43-46)

Compte tenu de la gravité potentielle de la perte ou vol de sources scellées ou non scellées et de l'urgence éventuelle des mesures à prendre, le Conseil propose que la déclaration de cette perte ou vol soit faite par le détenteur directement au préfet et à l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire. L'article pourrait être rédigé de la façon suivante :
« Article R.43-46. - La perte ou le vol de radionucléides sous forme de sources scellées ou non scellées, produits ou dispositifs en contenant, ainsi que tout fait susceptible d'engendrer une dissémination radioactive doivent être immédiatement déclarés au préfet du département du lieu où s'est passé la perte ou le vol et à l'Institut de radioprotection et de sécurité nucléaire. Le préfet informe l'autorité qui a délivré l'autorisation.

9. Annexe I. Définitions

Sievert. Aux deux utilisations citées de l'unité « sievert », il faut ajouter la dose équivalente engagée et la dose efficace engagée.
Becquerel. Le conseil propose la définition suivante : un becquerel (Bq) représente une transition nucléaire spontanée par seconde, avec émission d'un rayonnement ionisant.
Contamination radioactive. Le conseil propose de supprimer cette définition, l'expression correspondante n'apparaissant nulle part dans le texte (la définition n'est d'ailleurs pas vraiment satisfaisante).

Conclusion

Au-delà de ces remarques importantes, le conseil tient à souligner la qualité du travail réalisé par les rédacteurs de ce projet de décret. Compte tenu du caractère particulièrement complexe de la réglementation française préexistante, il s'agissait d'une tâche très difficile. Grâce à ce texte clair, cohérent et bien rédigé, notre législation pourra disposer d'un cadre unifié, facilement accessible, et ne sera plus dispersée dans une nébuleuse inextricable.

Le 22 novembre 2001.

(1) Cf. décret 2002-460 du 4 avril 2002 relatif à la protection générale des personnes contre les dangers des rayonnements ionisants.