Bulletin Officiel n°2004-5MINISTÈRE DES AFFAIRES SOCIALES,
DU TRAVAIL ET DE LA SOLIDARITÉ
MINISTÈRE DE LA SANTÉ, DE LA FAMILLE
ET DES PERSONNES HANDICAPÉES
Direction de l'administration générale,
du personnel et du budget
Division juridique et contentieuse

Note de principe du 10 mars 2003
relative à l'assistance d'un biologiste au cours d'une inspection

AG 7
327

NOR : SANG0330752N

(Texte non paru au Journal officiel)

Le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées à Monsieur le préfet de région (direction régionale des affaires sanitaires et sociales) ; Monsieur le préfet de département (direction départementale des affaires sanitaires et sociales) La direction régionale des affaires sanitaires et sociales d'Ile-de-France s'est interrogée sur la position d'un biologiste, directeur d'un laboratoire d'analyses de biologie médicale qui souhaitait être assisté de différentes personnes lors d'une inspection de son laboratoire.
L'intéressé s'est fait accompagner lors d'une partie de l'inspection d'un avocat et de deux professionnels n'appartenant pas au laboratoire (un délégué départemental du syndicat des biologistes, un autre de l'association des biologistes). Pour bénéficier de cette assistance, il a invoqué la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La présente note de principe fait le point des possibilités d'assistance pour les personnes faisant l'objet d'une inspection ou d'une enquête par les services du ministère de la santé, de la famille et des personnes handicapées (médecins inspecteurs de santé publique, pharmaciens inspecteurs de santé publique, ingénieurs du génie sanitaire, inspecteurs des affaires sanitaires et sociales).
Elle examine les différents contextes dans lesquels une inspection ou un contrôle peuvent se dérouler : procédure administrative, procédure susceptible de déboucher sur une procédure judiciaire, procédure judiciaire.

I. - ENQUÊTE MENÉE DANS LE CADRE D'UNE PROCÉDURE
ADMINISTRATIVE

Dans le cadre d'une procédure administrative, une inspection peut être décidée dans des hypothèses variées. Il peut s'agir d'une inspection nécessaire à l'instruction d'une demande d'autorisation d'un établissement de santé ou d'un laboratoire d'analyses de biologie médicale, par exemple. L'inspection peut aussi se justifier par la vérification du bon fonctionnement de l'établissement ou du laboratoire, que l'administration dispose ou non d'informations invoquant des dysfonctionnements. Elle peut alors, dans certains cas, déboucher sur une décision administrative (suspension ou retrait d'une autorisation).
A. - Dans un premier temps, il convient d'examiner les règles relatives à l'assistance à propos de l'inspection elle-même, indépendamment de ses conséquences quant à une future décision administrative.
1. - Le directeur du laboratoire d'analyses de biologie médicale a invoqué la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour bénéficier d'une assistance par plusieurs personnes.
L'article 6 de cette convention intitulé « Droit à un procès équitable » définit différentes règles destinées à assurer le respect de ce droit. Il est notamment prévu à l'article 6-3 : « Tout accusé a droit notamment à :
a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui ; (...)
c) se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent. »
L'article 6-1 définit vis-à-vis de quels tribunaux jouent ces règles. Il s'agit de ceux statuant soit sur des contestations sur les droits et obligations de caractère civil, soit sur le bien-fondé de toute accusation en matière pénale.
L'inspection menée par les corps de contrôle du ministère de la santé dans le cadre d'une procédure administrative ne se situe donc pas dans le champ d'application de l'article 6 de la convention.
Le Conseil d'État a eu l'occasion de l'affirmer à propos des décisions ou des sanctions prises par les autorités administratives, notamment celles infligées aux professionnels de santé (suspension de conventionnement ou déconventionnement).
Ainsi, dans l'arrêt Syndicat national des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs du 30 avril 1997, il est dit : « le moyen tiré de la violation de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est inopérant, dès lors que cet article ne s'applique qu'aux procédures suivies devant les juridictions et n'énonce aucune règle, ni principe qui gouverneraient l'élaboration ou le prononcé des sanctions par les autorités administratives ».
Il en va de même pour « l'élaboration ou le prononcé de décisions par les autorités administratives », même si la mesure porte atteinte aux droits et obligations de caractère civil. Il s'agissait du retrait d'agrément décidé par la Commission des opérations de bourse à l'encontre d'une société de gestion de portefeuille, mesure n'ayant pas le caractère de sanction (arrêt Ste Athis du Conseil d'État, 22 juin 2001).
2. Si la convention européenne n'est pas applicable, une personne objet d'une inspection peut se prévaloir de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certains professions judiciaires et juridiques. Cette loi, modifiée notamment en 1990, prévoit en son article 6 : « Les avocats peuvent assister et représenter autrui devant les administrations publiques, sous réserve des dispositions législatives et réglementaires. »
L'administration ne peut donc pas s'opposer à la présence d'un avocat assistant la personne contrôlée, sauf si un texte particulier le lui permet. Les textes applicables au contrôle des laboratoires d'analyses de biologie médicale (articles L. 1421-1 à L. 1421-3, articles L. 6213-1 et L. 6213-2 du code de la santé publique) ne contiennent aucune dérogation à la faculté d'assistance par un avocat.
L'avocat n'a pas besoin de justifier d'un mandat devant l'administration (arrêt M. Angebault de la Cour administrative d'appel de Nantes, 20 juillet 1999). Par contre, on ne peut reprocher à l'administration de ne pas avoir adressé un courrier à l'avocat si la personne n'y a pas élu domicile (arrêt M. Dubonnet de la Cour administrative d'appel de Paris, 9 décembre 1999).
3. L'assistance de la personne objet d'une inspection par une ou plusieurs autres personnes étrangères à l'établissement ou à l'organisme ne fait pas actuellement l'objet d'une réglementation générale. Pour tel ou tel type d'inspection, un texte particulier peut avoir organisé une telle faculté d'assistance, à l'image de ce qui est prévu, dans un autre domaine, pour les infirmiers faisant l'objet d'une procédure de sanction.
En l'absence de texte, il faut se référer aux principes généraux. Ce qui n'est pas interdit n'a pas raison d'être empêché par principe. La présence de tiers n'a donc pas de raison d'être refusée, en règle générale. En l'espèce, le contrôleur devait bien accepter la présence d'un délégué départemental du syndicat des biologistes et d'une déléguée départementale de l'association des biologistes lors de l'entretien qu'il avait avec le directeur d'un laboratoire d'analyses de biologie médicale
Cependant, la présence de tiers ne doit pas constituer un obstacle au contrôle. Si un tiers utilise des moyens de pression ou a un comportement répréhensible (violence verbale, par exemple), le contrôleur est alors en droit de s'opposer à son intervention.
Le fait que la personne contrôlée puisse se faire assister d'un tiers (avocat ou autre personne) ne signifie pas que le contrôleur soit conduit à différer son contrôle dans l'attente de la présence effective du ou des tiers auquel l'intéressé objet de l'inspection souhaite s'adresser.
Il n'y a ainsi pas d'obstacle à mener des contrôles sans information de la structure contrôlée, lorsque des situations d'urgence ou exceptionnelles le nécessitent comme le rappelle le guide des bonnes pratiques d'inspection établi par l'IGAS.
B. - Dans un second temps, une observation doit être faite dans le cas où la procédure administrative de contrôle aboutit à une décision administrative défavorable.
Il se peut, en effet, que l'inspection conduise à mettre en évidence des dysfonctionnements de nature à justifier une mesure de suspension ou de retrait d'autorisation pour l'établissement ou l'organisme contrôlé.
Avant la prise d'une telle décision défavorable devant être motivée, la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations a prévu certaines garanties pour l'administré (article 24). La personne intéressée doit avoir été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix.
Certaines exceptions à la mise en oeuvre de ces garanties existent : en cas d'urgence, de circonstances exceptionnelles, de risque de voir l'ordre public compromis.

II. - ENQUÊTE SUSCEPTIBLE DE DÉBOUCHER
SUR UNE PROCÉDURE JUDICIAIRE

Certains fonctionnaires et agents sont chargés de fonctions relevant de la police judiciaire. C'est le cas, par exemple, des médecins inspecteurs de santé publique et des pharmaciens inspecteurs de santé publique qui ont le pouvoir de constater des infractions et de dresser procès-verbal (articles L. 5413-1, L. 5411-1 à L. 5411-3 du code de la santé publique).
Le fait que l'enquête puisse révéler des infractions et que le fonctionnaire dresse un procès-verbal transmis au procureur de la République n'est pas de nature à modifier les règles juridiques relatives à l'assistance de la personne contrôlée, décrites précédemment.
La convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut pas être invoquée, même si l'enquête débouche sur une procédure judiciaire et une condamnation pénale de l'intéressé, in fine.
La Cour de cassation l'a affirmé dans un arrêt M. Guiseppe du 29 mars 1995. Elle a considéré que le moyen tiré de la violation de la convention européenne ne pouvait être accueilli dans la mesure où cette convention était inapplicable au stade de la procédure de constatation des infractions. Il s'agissait en l'espèce d'un procès-verbal établi par des agents de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes sur la base de l'article L. 121-2 du code de la consommation.
La Cour européenne des droits de l'homme a statué dans le même sens dans l'arrêt IJL, OMR et AKP contre Royaume-Uni du 19 septembre 2000, reprenant la position définie dans l'arrêt Fayed contre Royaume-Uni du 21 septembre 1994.
Des inspecteurs avaient mené des investigations sur des dirigeants de société accusés de comportements répréhensibles lors de la prise de contrôle d'une société par une autre. Le juge européen indique que leur enquête avait pour finalité l'établissement et la consignation de faits qui pourraient par la suite servir de base à l'action d'autres autorités compétentes - de poursuite, réglementaires, disciplinaires voire législatives. Assujettir de telles enquêtes aux garanties procédurales énoncées à l'article 6 § 1 gênerait indûment, en pratique, la réglementation efficace, dans l'intérêt public, d'activités financières et commerciales complexes, conclut le juge.
Si l'enquête administrative n'est pas irrégulière, la Cour européenne vérifie l'usage qui en est fait lors de la procédure pénale et peut conclure à l'absence de procès équitable.
Dans l'affaire Sanders contre Royaume-Uni, la Cour a considéré que le requérant avait été juridiquement contraint de faire des déclarations devant les inspecteurs. Ceux-ci disposaient de pouvoirs importants : ils avaient une fonction inquisitoire, ils pouvaient procéder à des interrogatoires sous serment et les réponses des personnes pouvaient être retenues contre elles. Le refus de réponse à l'inspecteur pouvait être signalé au tribunal qui pouvait condamner l'intéressé à la même peine que pour une personne coupable de mépris du tribunal.
La Cour a estimé qu'il y avait eu atteinte au droit de ne pas s'incriminer soi-même et que le requérant avait donc été privé d'un procès équitable (arrêt du 17 décembre 1996).

III. - ENQUÊTE S'INSCRIVANT DANS LE CADRE
D'UNE PROCÉDURE JUDICIAIRE

Dans le cadre de l'instruction d'un dossier, le procureur de la République ou le juge d'instruction peuvent ordonner une enquête, à laquelle les services d'inspection du ministère de la santé peuvent être conduits à participer.
La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme a eu l'occasion de préciser que l'application des principes de la convention européenne étaient applicables non seulement au stade du procès mais aussi lors de l'enquête préliminaire (arrêt Imbrioscia contre Suisse du 24 novembre 1993).
La Cour a ainsi jugé que « l'article 6 a pour finalité principale au pénal d'assurer un procès équitable devant un tribunal compétent pour décider du bien-fondé de l'accusation mais il n'en résulte pas qu'il se désintéresse des phases qui se déroulent avant la procédure de jugement ». « D'autres exigences de l'article 6, et notamment son paragraphe 3, peuvent elles aussi jouer un rôle sur la saisine du juge du fond si et dans la mesure où leur inobservation initiale risque de compromettre gravement le caractère équitable du procès ».
Dans l'affaire Imbriosca, une personne arrêtée avait entamé des démarches pour être assistée d'un avocat qui finalement se déchargea de son mandat. Pendant un temps limité (trois semaines), l'intéressé ne fut pas assisté lors des interrogatoires et ne se plaignit pas de l'inaction de son avocat. Par la suite, l'intéressé fut assisté par un avocat désigné d'office. Le juge considéra qu'en l'espèce le procès avait été équitable.
Dans une autre affaire (arrêt John Murray contre Royaume-Uni du 8 février 1996), la Cour statua en sens inverse après avoir rappelé que l'article 6 s'applique même au stade de l'instruction préliminaire menée par la police.
Quand la législation attache à l'attitude du prévenu à la phase initiale des interrogatoires de police des conséquences déterminantes pour les perspectives de la défense lors de toute la procédure pénale ultérieure, l'article 6 exige normalement que le prévenu puisse bénéficier de l'assistance d'un avocat dès les premiers stades des interrogatoires de police, sauf restrictions fondées sur des raisons valables.
En l'espèce, vu l'impact des premiers interrogatoires, le juge a estimé que le fait d'avoir été privé de l'assistance d'un avocat pendant les 48 premières heures de la garde à vue constituait une violation de l'article 6 de la convention.
La Cour de cassation a estimé qu'il n'y avait pas nullité de l'interrogatoire de première comparution pour défaut d'assistance d'avocat, dans certaines circonstances : le juge n'avait pu joindre, en l'espèce, les deux avocats désignés par la personne interrogée et l'avocat de garde n'était pas joignable. Le moyen tiré de la violation de l'article 6 de la convention européenne a ainsi été écarté (arrêt Gausserand du 18 octobre 2000).
Par ailleurs, une enquête administrative non soumise à la convention européenne (militaires interrogés par leur supérieur hiérarchique sans assistance d'un avocat) peut être versée à la procédure judiciaire qui seule est soumise aux règles du code de procédure pénale et de la convention européenne (arrêt Cage du 29 avril 1997, Cour de cassation).
Je reste à votre disposition pour toute question complémentaire que vous pourriez vous poser.