Direction de lhospitalisation
et de lorganisation des soins
Circulaire DHOS/G no 2005-57 du 2 février 2005 relative
à la laïcité dans les établissements de santé
NOR : SANH0530037C
Date dapplication : immédiate.
Textes de référence :
Rapport de la commission Stasi sur lapplication du principe de la laïcité dans la République (11 décembre 2003) ;
Code de la santé publique notamment articles L. 1110-8, L. 3211-3, L. 6112-2, L. 6143-7 et R. 1112-46.
Le ministre des solidarités, de la santé et de la famille à Mesdames et Messieurs les directeurs dagence régionale de lhospitalisation (pour mise en oeuvre) ; Mesdames et Messieurs les préfets de région (directions régionales des affaires sanitaires et sociales [pour information]) ; Mesdames et Messieurs les préfets de département (directions départementales des affaires sanitaires et sociales [pour diffusion et mise en oeuvre]) ; Mesdames et Messieurs les directeurs détablissements publics de santé, détablissements de santé privés participant au service public hospitalier, détablissements publics hébergeant des personnes âgées dépendantes (pour mise en oeuvre).
A la suite de la publication du rapport remis au Président de la République par la commission de réflexion sur lapplication du principe de laïcité dans la République (communément dénommé rapport Stasi), la présente circulaire a pour but dexpliciter le principe de laïcité à lhôpital tel quil résulte de la Constitution des principes généraux du droit et des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, dans les deux domaines suivants : liberté religieuse, libre choix du praticien.
I. - LIBERTÉ RELIGIEUSE, PRINCIPES DE NEUTRALITÉ
ET DE NON-DISCRIMINATION
Comme le rappelle le rapport Stasi (p. 22) remis au Président de la République le 11 décembre 2003, la laïcité qui est consacrée par larticle 1 de la Constitution de 1958 impose à la République dassurer « légalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction dorigine, de race ou de religion ». Pour lhôpital, cela implique que :
- tous les patients soient traités de la même façon quelles que puissent être leurs croyances religieuses ;
- les patients ne puissent douter de la neutralité des agents hospitaliers.
A. égalité de traitement des patients
Larticle L. 6112-2 du code de la santé publique affirme cette égalité de traitement. Il indique notamment que les établissements assurant le service public hospitalier « garantissent légal accès de tous aux soins quils dispensent. Ils sont ouverts à toutes les personnes dont létat requiert leurs services (...). Ils ne peuvent établir aucune discrimination entre les malades en ce qui concerne les soins ».
Dans le domaine religieux, les patients se voient garantir la libre pratique de leur culte et la manifestation de leurs convictions religieuses :
- larticle R. 1112-46 CSP issu du décret no 74-27 du 14 janvier 1974 relatif aux règles de fonctionnement des centres hospitaliers et des hôpitaux locaux indique que « les hospitalisés doivent être mis en mesure de participer à lexercice de leur culte ; ils reçoivent, sur demande de leur part adressée à ladministration de létablissement, la visite du ministre du culte de leur choix » ;
- la charte du patient hospitalisé annexée à la circulaire DGS/DH no 22 du 6 mai 1995 relative aux droits des patients hospitalisés précise :
« Létablissement de santé doit respecter les croyances et les convictions des personnes accueillies. Un patient doit pouvoir, dans la mesure du possible, suivre les préceptes de sa religion (recueillement, présence dun ministre du culte de sa religion, nourriture, liberté daction et dexpression...) ». Larticle L. 3211-3 du code de la santé publique affirme cette même liberté pour les personnes atteintes de troubles mentaux et hospitalisées sans leur consentement.
- larrêté du 7 janvier 1997 relatif au contenu du livret daccueil des établissements de santé mentionne que le livret daccueil « doit comporter des indications sur les différents cultes et le nom de leur représentants ».
En matière mortuaire, les familles des malades en fin de vie et des défunts se voient garantir la possibilité de procéder aux rites et cérémonies prévus par la religion de leur choix :
- le décret précité du 14 janvier 1974 indique que « lorsque lhospitalisé est en fin de vie, il est transporté, avec toute la discrétion souhaitable, dans une chambre individuelle du service. Ses proches sont admis à rester auprès de lui et à lassister dans ses derniers instants » (art. R. 1112-68 CSP) ;
- le décret no 97-1039 du 14 novembre 1997 relatif aux chambres mortuaires des établissements de santé précise que « dans toute la mesure du possible, la famille a accès auprès du défunt avant que le corps ne soit déposé dans la chambre mortuaire sans que ce dépôt ne soit différé, de ce fait, dun délai supérieur à dix heures... » (art. 4) ;
- larrêté du 7 mai 2001 relatif aux prescriptions techniques applicables aux chambres mortuaires des établissements de santé spécifie, dans son article 2, que « la zone publique de la chambre mortuaire comprend, au minimum, un local de présentation du corps du défunt et un local daccueil pour les familles. Elle peut également comporter une salle dattente pour les familles et une salle de cérémonie ».
Il va de soi que les règles de neutralité doivent demeurer compatibles avec les exigences dune bonne dispensation des soins telle quelle est définie par léquipe médicale. La charte du patient hospitalisé précitée, tout en affirmant la liberté daction et dexpression des patients dans le domaine religieux, rappelle : « Ces droits sexercent dans le respect de la liberté des autres. Tout prosélytisme est interdit, quil soit le fait dune personne accueillie dans létablissement, dune personne bénévole, dun visiteur ou dun membre du personnel. »
A cet égard, il convient de veiller à ce que lexpression des convictions religieuses ne porte pas atteinte :
- à la qualité des soins et aux règles dhygiène (le malade doit accepter la tenue vestimentaire imposée compte tenu des soins qui lui sont donnés) ;
- à la tranquillité des autres personnes hospitalisées et de leurs proches ;
- au fonctionnement régulier du service.
Il appartient aux directeurs des établissements de santé de faire respecter strictement ces diverses dispositions qui constituent des garanties essentielles pour les malades. Pour ce faire, ceux-ci disposent du pouvoir général de police au sein de leur établissement (cf. art. L. 6143-7 du code de la santé publique).
B. - Neutralité du service public hospitalier
et des fonctionnaires et agents publics
Lobligation de neutralité est posée depuis plus dun demi-siècle dans la jurisprudence (Conseil dEtat 8 décembre 1948, Dlle Pasteau - 3 mai 1950, Dlle Jamet).
Dans un litige concernant un établissement scolaire, le Conseil dEtat a émis un avis en date du 3 mai 2000 (Mlle Marteaux), aux termes duquel :
« Il résulte des textes constitutionnels et législatifs que le principe de liberté de conscience ainsi que celui de la laïcité de lEtat et de neutralité des services publics sappliquent à lensemble de ceux-ci.
Le fait pour un agent du service de lenseignement public de manifester dans lexercice de ses fonctions ses croyances religieuses, notamment en portant un signe destiné à marquer son appartenance à une religion, constitue un manquement à ses obligations ».
Dans un arrêt en date du 17 octobre 2002 (Mme E.), le tribunal administratif de Paris a estimé légale la décision dun établissement hospitalier public qui navait pas voulu renouveler le contrat dune assistante sociale qui refusait denlever son voile. Dans son premier considérant, le tribunal rappelle que le principe de neutralité simpose à tous les agents publics et pas seulement à ceux de lenseignement :
« Considérant que si les agents publics bénéficient, comme tous les citoyens, de la liberté de conscience et de religion édictée par les textes constitutionnels, conventionnels et législatifs, qui prohibent toute discrimination fondée sur leurs croyances religieuses ou leur athéisme, notamment pour laccès aux fonctions, le déroulement de carrière ou encore le régime disciplinaire, le principe de laïcité de lEtat et de ses démembrements et celui de la neutralité des services publics font obstacle à ce que ces agents disposent, dans lexercice de leurs fonctions, du droit de manifester leurs croyances religieuses, notamment par une extériorisation vestimentaire ; que ce principe, qui vise à protéger les usagers du service de tout risque dinfluence ou datteinte à leur propre liberté de conscience, concerne tous les services publics et pas seulement celui de lenseignement ; que cette obligation trouve à sappliquer avec une rigueur particulière dans les services publics dont les usagers sont dans un état de fragilité ou de dépendance ».
Dans un arrêt en date du 27 novembre 2003 (Mlle Nadjet Ben Abdallah), la cour administrative dappel de Lyon a considéré que :
« Le port, par Mlle Ben Abdallah, détentrice de prérogatives de puissance publique, dun foulard dont elle a expressément revendiqué le caractère religieux, et le refus réitéré dobéir à lordre qui lui a été donné de le retirer, alors quelle était avertie de létat non ambigu du droit applicable, a, dans les circonstances de lespèce, constitué une faute grave de nature à justifier légalement la mesure de suspension dont elle a fait lobjet » (Mlle Ben Abdallah est contrôleur du travail).
Ces principes sappliquent à tous les fonctionnaires et agents publics, à lexception des ministres des différents cultes mentionnés à larticle R. 1112-46 du code de la santé publique. Il est rappelé que les agents publics sont des agents qui concourent à lexécution du service public : contractuels, internes... Vous veillerez à ce que, en application de larticle L. 6143-7 du code de la santé publique, les directeurs des établissements publics de santé respectent strictement ces principes en sanctionnant systématiquement tout manquement à ces obligations ou en signalant aux directeurs départementaux des affaires sanitaires et sociales toute faute commise par un agent dont lautorité de nomination est le préfet ou le ministre.
II. - LIBRE CHOIX DU PRATICIEN ET DISCRIMINATION
À LENCONTRE DUN AGENT DU SERVICE PUBLIC
A. - Les droits fondamentaux du patient libre choix,
information et consentement, refus de soins
Le malade a le libre choix de son praticien et de son établissement de santé ainsi que le droit dinformation et de consentement aux soins.
Larticle L. 1110-8 du code de la santé publique dispose ainsi que le droit du malade au libre choix de son praticien et de son établissement de santé est un droit fondamental de la législation sanitaire.
Le Conseil dEtat a affirmé quil sagissait dun principe général du droit (18 février 1998, section locale du Pacifique Sud de lordre des médecins).
Larticle R. 1112-17 du même code indique que « dans les disciplines qui comportent plusieurs services, les malades ont, sauf en cas durgence et compte tenu des possibilités en lits, le libre choix du service dans lequel ils désirent être admis ».
En outre, larticle L. 1111-4 du code de la santé publique précise que « toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations quil lui fournit, les décisions concernant sa santé ». Cet article indique également : « Aucun acte médical, ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment ».
Larticle R. 1112-43 du même code expose que « lorsque les malades nacceptent pas le traitement, lintervention ou les soins qui leur sont proposés, leur sortie, sauf urgence médicalement constatée nécessitant dautres soins, est prononcée par le directeur après signature par lhospitalisé dun document constatant son refus daccepter les soins proposés. Si le malade refuse de signer ce document, un procès verbal de ce refus est dressé ».
B. - Discrimination à lencontre dun fonctionnaire,
agent public et agent dun service public hospitalier
Il convient que dans les établissements publics de santé et les établissements de santé privés participent au service public hospitalier, le malade puisse, en dehors des cas durgence, choisir librement son praticien, son établissement et éventuellement son service. Toutefois, ce libre choix doit être exercé par le malade et non par un parent, un proche ou la personne de confiance mentionnée à larticle L. 1111-6 du code de la santé publique ; il doit au surplus se concilier avec diverses règles telles que lorganisation du service ou la délivrance des soins.
En ce qui concerne lorganisation du service, le libre choix du praticien par le malade ne peut aller à lencontre du tour de garde des médecins ou de lorganisation des consultations, conforme aux exigences de continuité prévues à larticle L. 6112-2 du code de la santé publique.
En matière dorganisation des soins, il convient de rappeler que le malade est soigné par une équipe soignante et non par un praticien unique, ce qui a notamment des conséquences en termes de secret médical qui ont été admises par la jurisprudence et qui sont désormais reprises à larticle L. 1110-4, alinéa in fine du code (« lorsque la personne est prise en charge par une équipe de soins dans un établissement de santé, les informations la concernant sont réputées confiées par le malade à lensemble de léquipe »).
En outre, le libre choix exercé par le malade, ne doit pas perturber la dispensation des soins, compromettre les exigences sanitaires, voire créer des désordres persistants. Dans ce dernier cas, le directeur prend, avec laccord du médecin chef de service, toutes les mesures appropriées pouvant aller éventuellement jusquau prononcé de la sortie de lintéressé pour motifs disciplinaires (art. R. 1112-49 du code de la santé publique).
Le Conseil dEtat, dans une ordonnance en référé en date du 16 août 2002, a jugé que les médecins ne portent pas une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le consentement à un traitement médical donné par un patient majeur, lorsquil se trouve en état de lexprimer « lorsque après avoir tout mis en oeuvre pour convaincre un patient daccepter les soins indispensables, ils accomplissent dans le but de tenter de le sauver, un acte indispensable à sa survie et proportionné à son état ».
De même, larticle L. 1111-4 du code de la santé publique indique que « le consentement du mineur ou du majeur sous tutelle doit être systématiquement recherché sil est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision. Dans le cas où le refus dun traitement par la personne titulaire de lautorité parentale ou par le tuteur risque dentraîner des conséquences graves pour la santé du mineur ou du majeur sous tutelle, le médecin délivre les soins indispensables ».
Enfin, ce libre choix du malade ne permet pas que la personne prise en charge puisse sopposer à ce quun membre de léquipe de soins procède à un acte de diagnostic ou de soins pour des motifs tirés de la religion connue ou supposée de ce dernier.
Je vous demande de veiller attentivement à lapplication de ces dispositions et de minformer des difficultés éventuelles que vous pourrez rencontrer à ce sujet.
Pour le ministre et par délégation : Le directeur de lhospitalisation et de lorganisation des soins, J. Castex |