Avis du comité technique des vaccinations et du Conseil supérieur dhygiène publique de France section maladies transmissibles concernant la vaccination contre lhépatite virale B
NOR : SANP0630154V
Séance du CTV du 14 septembre 2004
Séance du CSHPF du 26 septembre 2004
A la demande du ministre de la santé et de la protection sociale, le Comité technique des vaccinations (CTV) réuni en session extraordinaire le 14 septembre 2004 a procédé à une analyse de larticle de M. Hernan (1) et al. « Recombinant hepatitis B vaccine and the risk of multiple sclerosis » publié dans la revue Neurology du 14 septembre 2004. La section des maladies transmissibles du Conseil supérieur dhygiène publique de France (CSHPF) en sa séance du 26 septembre 2004 a pris connaissance des conclusions du CTV. Le présent avis est la synthèse de lanalyse réalisée par les experts de ces deux instances.
Il semble indispensable de rappeler quelques points clés concernant la vaccination contre le virus de lhépatite B (VHB). Au début des années quatre-ving-dix, les experts internationaux réunis par lOrganisation mondiale de la santé (OMS) ont considéré quil nétait pas possible despérer une élimination de linfection à VHB en ne vaccinant que les sujets exposés à ce risque (professionnels de santé, hémodialysés chroniques, usagers de drogues par voie intra-veineuse, sujets ayant des partenaires sexuels multiples,...). Il a donc été recommandé, y compris dans les pays à faible niveau dendémicité, de recourir à la vaccination de tous les enfants bien que cette population soit, à lévidence dans ces pays, très peu exposée au risque dinfection à VHB en dehors de la transmission mère-enfant.
La justification de ce choix reposait sur lefficacité maximale du vaccin à cette période de la vie, sur la protection apportée, de longue durée, et enfin sur la facilité dintégration de cette vaccination dans le calendrier vaccinal.
La stratégie ainsi mise en oeuvre devait permettre à lensemble des enfants dêtre protégés lorsquils arriveraient à lâge des premières expositions au risque, soit environ 13 ans. La campagne de vaccination en milieu scolaire des pré-adolescents entrant au collège dont lâge se situait entre 11 et 13 ans sest ensuite associée à une recommandation forte de vaccination systématique des nourrissons. Cette politique relative aux nourrissons était dautant plus justifiée que les données immunologiques ont permis de diminuer le nombre de doses et de supprimer les rappels tardifs en montrant que ce schéma simplifié pouvait probablement protéger toute la vie.
Lobjectif du rattrapage chez les pré-adolescents était de protéger les enfants avant quils ne soient exposés au risque dhépatite B. Il sagissait dune mesure transitoire, destinée à séteindre dès que les premiers enfants ayant bénéficié de la vaccination lorsquils étaient nourrissons, arriveraient au collège.
Quant à la vaccination des sujets à risque, elle permet de protéger ces personnes particulièrement exposées et de diminuer la circulation du virus.
Avant la campagne de vaccination de 1994 les données concernant linfection par le VHB en France étaient les suivantes :
- le nombre estimé de porteurs chroniques de lAgHBs en France était dau moins 100 000 personnes (2),
- lincidence annuelle moyenne des nouvelles contaminations par le VHB durant la période 1991-1994 était estimée à plus de 20 000 (3),
- le nombre annuel de décès liés au VHB était estimé à 1 000 décès environ (4), essentiellement dus aux conséquences de linfection chronique,
- les données pour la France du registre européen de transplantation hépatique comportaient pour les années 1990 à 1994 respectivement 20, 22, 15, 12 et 14 hépatites B fulminantes (5).
En ce qui concerne létude dHernan et al., ses résultats avaient déjà été présentés à la réunion de consensus ANAES-INSERM (6) des 10-11 septembre 2003 et au Comité Technique des Vaccinations du 25 septembre 2003.
Cette étude cas-témoin suggère, dans une population dadultes du Royaume-Uni, une association statistique entre la survenue dune première poussée de sclérose en plaques (SEP) et la vaccination contre lhépatite B dans les trois années précédentes.
Il est nécessaire de rappeler que les études cas-témoins comportent, du fait même de leur méthodologie, un certain nombre dimperfections. Ces limites ont aussi été soulignées par léditorial publié dans le même numéro de la revue Neurology (7).
Cette étude vient après neuf études sur le même thème qui navaient pas démontré dassociation (voir annexe). Plusieurs de ces études ont été financées par les pouvoirs publics français (Afssaps) ou américains (CDC (8)).
Létude dHernan et al. diffère de ces études par une plus longue durée dobservation après vaccination et une date index qui nest pas celle du diagnostic de SEP mais celle des premiers symptômes de SEP.
Les CDC ont appliqué la même méthodologie aux données de trois HMO des Etats-Unis (Vaccine Safety Datalink, Health Maintenance Organizations)(9). Leur étude na identifié aucune liaison entre la vaccination contre lhépatite B et la survenue dune SEP, et ce, à aucun moment dans les cinq années suivant la vaccination.
Dans la population générale, plusieurs études épidémiologiques ont montré que lincidence de la sclérose en plaques est de lordre de 3 pour 100 000 habitants (10). La prise en compte de toutes les études conduit à estimer que le surcroit de risque par le vaccin de lhépatite B, sil existe, se situe dans une fourchette allant dun risque nul à un risque absolu denviron 1 pour 100 000 vaccinations. Chez lenfant, du fait dune incidence plus faible des maladies démyélinisantes, lestimation maximale est vraisemblablement encore beaucoup plus faible.
Malgré ses limites et ses biais possibles, létude dHernan et al. est une étude de qualité dont il faut tenir compte.
Quoi quil en soit, malgré ses limites et ses biais possibles, létude de dHernan et al. est une étude de qualité dont il faut tenir compte. Cependant, les résultats de cette étude ne remettent en rien en cause la politique vaccinale française vis-à-vis des nourrissons et des pré-adolescents, puisque aucune étude na permis de mettre en évidence un risque pour ces tranches dâge, y compris dans les pays dEurope (Italie (11), Espagne, Allemagne) ou dAmérique du Nord (Canada, Etats-Unis) dans lesquels cette vaccination est largement pratiquée (12).
En ce qui concerne les personnes à risque, la balance entre le bénéfice de la vaccination contre le VHB et le risque hypothétique de favoriser une poussée de sclérose en plaques, continue de pencher fortement en première analyse (13) en faveur de la vaccination.
De plus, le Comité consultatif mondial de lOMS sur la sécurité des vaccins (14) ne considère pas que les résultats de létude de Hernan et al fournissent des éléments convaincants en faveur de lhypothèse dun risque accru de SEP lié à la vaccination contre lhépatite B. Il relève, au contraire, que les données accumulées dans une dizaine détudes à travers le monde pendant les 20 dernières années ont mis en évidence la sécurité de la vaccination contre lhépatite B, en particulier chez les nourrissons et les adolescents, cibles essentielles des programmes de vaccination. Ce Comité a donc conseillé à lOMS de ne pas interrompre ni modifier ses programmes de vaccination contre lhépatite B, dont les bénéfices de santé publique ne sont plus à démontrer.
Il est très vraisemblable quon ait à lheure actuelle des chiffres dhépatite B nettement inférieurs à ceux davant 1994, près de 30 millions de personnes ayant été vaccinées depuis contre lhépatite B en France. Ces chiffres devraient être actualisés par la procédure de déclaration obligatoire des infections aiguës par le VHB qui sest mise en place au cours de lannée 2003. Mais cette procédure de déclaration obligatoire ne permet pas de mesurer le portage chronique en particulier chez les personnes provenant de pays de forte endémie. Au vu de la couverture vaccinale des nourrissons (15) inférieure à 30 % aujourdhui en France, les nouvelles générations continueront à être exposées au risque dacquisition dune hépatite virale B aiguë et de ses complications.
Le Conseil supérieur dhygiène publique de France et le Comité technique des vaccinations considèrent quil ny a donc pas lieu de modifier les recommandations concernant la vaccination contre lhépatite B en France.
Cet avis ne peut être diffusé que dans son intégralité, sans suppression ni ajout.
ANNEXE
BILAN DES ÉTUDES ÉPIDÉMIOLOGIQUES PRÉSENTÉ LORS DE LA COMMISSION NATIONALE
DE PHARMACOVIGILANCE DU 21 SEPTEMBRE 2004
AUTEURS | TYPE DÉTUDE définition - cas étudiés |
RÉSULTATS |
---|---|---|
Touze et al. (1997) | Etude cas-témoins « pilote » (*) | |
(Rev Neurol 2000 ; 156(3) : 242-46) | 121 cas/121 témoins | < 2 mois : OR = 1,7 [0,8 ; 3,7] |
1res poussées datteintes démyélinisante centrales | ||
Fourrier et al. (1998) | Comparaison cas observés/cas attendus (*) | Excès faible non statistiquement significatif du nbre de cas observés |
(Br J. Clin Pharm 2001 ; 51 : 489-90) | 1res poussées datteintes démyélinisantes centrales | (n = 111)/aux cas attendus (n = 102.7) |
Costagliola (1998) | Approche capture-recapture (*) | Facteur de sous-notification compris entre 2 et 2,5 compatible avec un excès statistiquement significatif de cas |
(Non publiée) | Atteintes démyélinisantes centrales (ADC) | |
Zipp et al. (1998) | Cohorte de 134 698 sujets | 1 an : RR = 1,0 [0,3 ; 3,0] |
(Nature Med 1999 ; 5 (9) : 964-65) | Atteintes démyélinisantes centrales | 2 ans : RR = 1,0 [0,4 ; 2,4] |
3 ans : RR = 0,9 [0,4 ; 2,1] | ||
Touze et al. (1998) | 402 cas/722 témoins (*) | 0 - 2 mois : OR = 1,8 [0,7 ; 4,6] |
(Neuroepidem 2002 ; 21 : 180-86) | 1res poussées datteintes démyélinisantes centrales | 2 - 12 mois : OR = 0,9 [0,4 ; 2,0] |
Abenhaïm et al. (1998) | 520 cas/2 505 témoins (*) | > 2 mois : OR = 1,4 [0,8 ; 2,4] |
(Non publiée) | ADC et scléroses en plaques | ≤ 12 mois : OR = 1,6 [0,6 ; 3,9] |
Ascherio et al. (2000) | 192 cas/645 témoins | OR = 0,9 [0,5 ; 1,6] |
(N Engl J Med 2001 ; 344(5) : 327-32) | Scléroses en plaques | < 2 ans : OR = 0,7 [0,3 ; 1,8] |
Confavreux et al. (2000) | 643 patients ; étude cas cross-over | RR = 0,71 [0,4 ; 1,26] |
(N Engl J Med 2001 ; 344(5) : 319-26) | Risque de poussée de sclérose en plaques | |
Sadovnick et al. (2000) | Cohorte denfants | 9 cas/288 657 enfants versus |
(The Lancet 2000 ; 355 : 549-50) | Scléroses en plaques | 5 cas/289 651 enfants après la campagne |
De Stefano et al. (2003) | 440 cas/950 témoins | OR = 0,9 [0,6 ; 1,5] |
(Arch Neurol 2003 ; 60 : 504-9) | Scléroses en plaques | < 1 an : 0,8 [0,4 ; 1,8] |
1 - 5 ans : 1,6 [0,8 ; 3,0] | ||
> 5 ans : 0,6 [0,2 ; 1,4] | ||
Hernan et al. (2004) | 163 cas/1 604 témoins | OR = 3,1 [1,5 ; 6,3] |
(Neurology 2004 ; 63 : 838-42) | Scléroses en plaques | |
Légendes : OR = Odds-Ratio ; RR = Risque relatif ; [ ] = Intervalle de confiance. (*) Etudes réalisées à la demande de lAfssaps ou financées par elle. |
(1)Hernan M.A., Jick S.S., Olek M.J., Jick H. Recombinant hepatitis B vaccine and the Risk of multiple sclerosis. Neurology 2004 ; 63 :838-42.
(2)Estimation In VS.Goudeau A, Dubois F. incidence and prevalence of hepatitis B in France. Vaccine 1995 ; 13 : 22-5 ; Denis F, Tabaste JL, Ranger-Rogez S, le groupe détude multicentrique. Prévalence de lAgHBs chez près de 21 500 femmes enceintes. Enquête de 12 CHU français. Pathol Biol 1994 ; 42 (5) : 533-8.
(3)Estimation InVS à partir des données du réseau sentinelle INSERM : Flahaut A, Maison P, Farran N, Massari V. Six years surveillance of hepatitis A and B in general practice in France. Euro Surveill 1997 ; 2 : 56-7.
(4)Estimation InVS.
(5)Les données de lEtablissement français des greffes ne permettent pas avant 1997 de distinguer les hépatites B fulminantes des autres causes dhépatite aiguë entraînant linscription sur la liste nationale dattente dun greffon en urgence.
(6)ANAES-INSERM : Réunion de consensus - vaccination contre le virus de lhépatite B - Mercredi 10 septembre et jeudi 11 septembre 2003 - Faculté de Médecine Xavier Bichat - Paris. Texte des recommandations. 17 p.
(7)Naismith R.T., Cross A.H. Editorial : Does the hepatitis B vaccine cause multiple sclerosis ? Neurology 2004 ; 63 :772-773.
(8)Centers for Disease Control américains.
(9)De Stefano F, Weintraub E, Chen R.T. Determining risk of multiple sclerosis after hepatitis B vaccine : time since vaccination and source of data. 20th International Conference on Pharmacoepidemiology, Bordeaux, August 2004.
(10)Zivadinov R. et coll. The use of standardized incidence and prevalence rates in epidemiological studies on multiple sclerosis, neuroepidemiology 2003 ; 22(1):65-74.
(11)Mele A, Stroffolini T, Zanetto AR. Hepatitits B in Italy : where we are ten years after the introduction of mass vaccination. J Med Virology 2002 ;67 :440-443.
(12)Le rapport Dartigues (mission dexpertise sur la politique de vaccination contre lhépatite B en France - février 2002) mentionnait les couvertures vaccinales suivantes :
- Italie : nourrissons 90 %, adolescents 80 % ; Espagne : adolescents 95 %, Allemagne : nourrissons > 90 % ;
- Canada : adolescents 90 %, Etats Unis : nourrissons 84 %.
(13)Une actualisation de létude des bénéfices / risques de la vaccination VHB doit être menée par linstitut de Veille sanitaire (Levy-Bruhl D, Desenclos JC, Rebiere I, Drucker J. Central demyelinating disorders and hepatitis B vaccination : a risk-benefit approach for pre-adolescent vaccination in France. Vaccine 2002 ; 20 : 2065-2071.).
(14)Final Statement : Comité consultatif mondial de lOrganisation mondiale de la santé sur la sécurité des vaccins : réponse à larticle de Hernan et al. Intitulé « Vaccin hépatite B recombinant et risque de sclérose en plaques » et publié le 14 septembre 2004 dans la revue Neurology.
(15)La couverture vaccinale contre le VHB est à lâge de 2 ans de 28 % (source 2001 : certificats du 24e mois - BEH du 9/09/2003).