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Dispositions communes à tous les types d'aide sociale

Recours en récupération

Récupération sur donation

Mots clés : Recours en récupération – Récupération sur donation – Aide sociale aux personnes âgées (ASPA) – Actif successoral – Assurance-vie – Requalification – Donation – Retour à meilleure fortune – Prescription

Dossiers nos 150177, 150178, 150179 et 150180

Mme X…

Séance du 7 juillet 2017

Décision lue en séance publique le 10 juillet 2017

Vu :

1o Sous le no 150178, le recours formé le 23 février 2015 par Mme K… tendant à l’annulation de la décision du 17 octobre 2014 par laquelle la commission départementale d’aide sociale de Paris a rejeté son recours contre la décision en date du 12 décembre 2013 du président du conseil général de Paris qui a maintenu la requalification en donation du contrat d’assurance-vie souscrit le 23 février 2012 par le tuteur de sa mère Mme X… ; elle reprend l’argumentation développée devant la commission départementale ;

2o Sous le no 150179, le recours formé le 23 février 2015 par M. P… et les observations complémentaires du 11 novembre 2015 tendant à l’annulation de la décision du 17 octobre 2014 par laquelle la commission départementale d’aide sociale de Paris a rejeté son recours contre la décision en date du 12 décembre 2013 du président du conseil général de Paris qui a maintenu la requalification en donation du contrat d’assurance-vie souscrit le 23 février 2012 par le tuteur de sa mère Mme X… ;

Il reprend l’argumentation développée devant la commission départementale et soutient en outre que le tuteur a souscrit le 23 février 2012 cette assurance-vie dont le capital s’élève à 48 768 euros à son bénéfice et à celui de son frère et ses sœurs sans les informer ; qu’ils ont accepté la succession après que le notaire les ait informés de l’absence de passif après avoir effectué les recherches nécessaires et qu’ils ont perçu l’héritage de leur mère aujourd’hui réclamé par le département ; qu’il est visé un actif net successoral de 33 592,11 euros alors que cet actif est de 33 263,01 euros ; qu’ils n’ont jamais été sollicités pour participer aux frais d’hébergement de leur mère ; qu’aucune réponse n’a été donnée par le conseil général au courrier de la tutrice informant cette collectivité que Mme X… était revenue à meilleure fortune après avoir hérité de sa mère et suggérant leur emploi pour rembourser une partie de l’aide conférée ; que les nombreux séjours en hôpital psychiatrique de Mme X… n’ont pas été déduits de la facturation d’aide sociale alors que ces séjours devaient être assurés dans le cadre de l’assurance maladie et devraient réduire les frais d’hébergement qui étaient pris en charge par l’aide sociale ; que le notaire n’a jamais été contacté ; qu’enfin leur mère les a abandonnés et ne les a pas élevés ; que, subsidiairement, il demande au moins une minoration du montant récupérable sur la succession ;

3o Sous le no 150177, le recours formé le 23 février 2015 par M. P… et les observations complémentaires du 11 novembre 2015 tendant à l’annulation de la décision du 17 octobre 2014 par laquelle la commission départementale d’aide sociale de Paris a rejeté son recours contre la décision en date du 12 décembre 2013 du président du conseil général de Paris qui a maintenu la requalification en donation du contrat d’assurance vie souscrit le 23 février 2012 par le tuteur de sa mère Mme X… ;

Il reprend l’argumentation développée devant la commission départementale

4o Sous le no 150180, le recours formé le 23 février 2015 par Mme V… et les observations complémentaires du 11 novembre 2015 tendant à l’annulation de la décision du 17 octobre 2014 par laquelle la commission départementale d’aide sociale de Paris a rejeté son recours contre la décision en date du 12 décembre 2013 du président du conseil général de Paris qui a maintenu la requalification en donation du contrat d’assurance-vie souscrit le 23 février 2012 par le tuteur de sa mère Mme X… ;

Elle reprend l’argumentation développée devant la commission départementale ;

Vu la décision attaquée ;

Vu, enregistré le 8 octobre 2015, le mémoire en défense en date du 24 septembre 2015 du président du conseil départemental de Paris qui tend à la récupération de l’intégralité de l’actif successoral de Mme X… et à se prononcer sur les primes versées au contrat d’assurance-vie souscrit par Mme X… le 23 février 2012 à concurrence de la somme de 50 000 euros au titre d’un recours contre donataires ;

Il soutient que la circonstance que les recours de Mme K…, M. P… et Mme V… aient été considérés irrecevables par la commission départementale d’aide sociale, fait obstacle à la recevabilité de leur requête ; que dès lors qu’ils n’étaient pas partie à l’instance devant la commission précitée, les requérants ne disposent pas de la qualité pour former appel devant la commission centrale d’aide sociale ; que le département de Paris n’a pas eu connaissance que la déclaration d’appel ait été régularisée devant la juridiction et qu’en l’absence de moyens d’appel, le président du conseil général ne dispose pas d’éléments permettant d’y répliquer ; que le département retient la même argumentation qui l’a amené à maintenir la récupération sur succession ; que le notaire reconnaît avoir été informé de l’existence de la créance d’aide sociale récupérable sur succession dès le mois de mai 2013, soit trois mois après le décès de Mme X… ; que la succession a donc été remise aux héritiers indépendamment de cette information et que le fait qu’elle ait été liquidée ne saurait faire obstacle à l’exercice du recours du département de Paris sans que ne se pose la question de la forclusion des délais de prescription applicables à la récupération des prestations d’aide sociale ; que si la carence du créancier d’aliments a justifié que la participation de ses enfants soit écartée en vertu du principe de l’exception d’indignité, cette reconnaissance n’a pas pour effet de remettre en cause l’exercice du recours exercé à titre successoral sur le patrimoine du bénéficiaire de l’aide sociale ;

Vu les pièces desquelles il résulte que les observations complémentaires de M. P… du 11 novembre 2015 ont été communiquées au conseil départemental de Paris ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu le code de l’action sociale et des familles ;

Les parties ayant été régulièrement informées de la faculté qui leur était offerte de présenter des observations orales, et celles d’entre elles ayant exprimé le souhait d’en faire usage ayant été informées de la date et de l’heure de l’audience ;

Après avoir entendu à l’audience publique du 7 juillet 2017, Mme GOMERIEL, rapporteure, et Mme K… en ses observations orales, après en avoir délibéré hors la présence des parties, à l’issue de la séance publique ;

Considérant que les recours formés par Mme K…, M. P…, M. F… et Mme V… sont dirigés contre la même décision du 17 octobre 2014 par laquelle la commission départementale d’aide sociale de Paris ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Considérant que si la commission départementale d’aide sociale de Paris a estimé que les recours de trois des quatre requérants devraient être regardés irrecevables faute qu’aient été produits dans le délai de deux mois suivant leur introduction par Maître MATHY-LOIZON les pouvoirs habilitant celle-ci à les représenter, cette commission n’a pas opposé l’irrecevabilité mais a statué sur le fond du litige ; qu’ainsi, en tout état de cause, le conseil départemental de Paris n’est pas fondé à soutenir que les présents recours seraient irrecevables ;

Considérant qu’en vertu des dispositions du 2o de l’article L. 132‑8 du code de l’action sociale et des familles, une action en récupération est ouverte au département « contre le donataire lorsque la donation est intervenue postérieurement à la demande d’aide sociale ou dans les dix ans qui ont précédé cette demande » ; qu’aux termes de l’article 894 du code civil : « La donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l’accepte » ; qu’un contrat d’assurance-vie soumis aux dispositions des articles L. 132‑1 du code des assurances, par lequel il est stipulé qu’un capital ou qu’une rente sera versé au souscripteur en cas de décès du souscripteur avant cette date n’a pas, en lui-même, le caractère d’une donation, au sens de l’article 894 du code civil ; que, toutefois, l’administration de l’aide sociale est en droit de rétablir la nature exacte des actes pouvant justifier l’engagement d’une action en récupération ; que le même pouvoir appartient aux juridictions de l’aide sociale, sous réserve, en cas de difficulté sérieuse, d’une éventuelle question préjudicielle devant les juridictions de l’ordre judiciaire ; qu’à ce titre, un contrat d’assurance-vie peut être requalifié en donation si, compte tenu des circonstances dans lesquelles ce contrat a été souscrit, il révèle, pour l’essentiel, une intention libérale de la part du souscripteur vis-à-vis du bénéficiaire et après que ce dernier a donné son acceptation ; que l’intention libérale doit être regardée comme établie lorsque le souscripteur du contrat, eu égard à son espérance de vie et à l’importance des primes versées par rapport à son patrimoine, s’y dépouille au profit du bénéficiaire de manière à la fois actuelle et non aléatoire en raison de la naissance d’un droit de créance sur l’assureur ; que, dans ce cas, l’acceptation du bénéficiaire, alors même qu’elle n’interviendrait qu’au moment du versement de la prestation assurée après le décès du souscripteur, a pour effet de permettre à l’administration de l’aide sociale de le regarder comme un donataire, pour l’application des dispositions relatives à la récupération des créances d’aide sociale ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction que, par décision du 30 mars 2006, Mme X… a été admise au bénéfice de l’aide sociale à l’hébergement du 26 juillet 2006 au 17 février 2013 pris en charge à hauteur de 122 911,97 euros par le département au total ; que le tuteur de Mme X… a souscrit le 23 février 2012, soit six ans après l’admission de celle-ci à l’aide sociale en hébergement pour personnes âgées et alors qu’elle était âgée de 71 ans, un contrat d’assurance-vie au profit de ses quatre enfants, pour un montant de 50 000 euros ; qu’au décès de Mme X… le 17 février 2013, le montant du capital décès perçu par les enfants s’élevait à 48 768 euros, l’actif net successoral de Mme X… s’élevant à 83 592,11 euros ; que par décision du 12 décembre 2013, le président du conseil de Paris siégeant en formation en conseil général a décidé de former un recours sur la succession de Mme X… à concurrence de l’actif net successoral ;

Considérant toutefois qu’il ressort des pièces du dossier et des déclarations faites à l’audience par Mme K… que Mme X… ne s’est jamais occupée de ses enfants qui ont été confiés par l’aide sociale à des familles d’accueil ou élevés par leurs grands-parents ; qu’ils n’ont, devenus adultes, eu aucun contact avec leur mère, qui a fait plusieurs séjours dans des services de psychiatrie et dont l’incapacité a conduit à son placement sous tutelle ; qu’ils n’ont pas eu davantage de contact avec les tuteurs successivement désignés et en particulier n’ont jamais été informés par la dernière tutrice de la souscription du contrat d’assurance-vie que celle-ci a estimé utile de faire après avoir en vain proposé au conseil de Paris d’affecter à la prise en charge des frais d’hébergement la somme de 89 000 euros perçue par Mme X… après le décès de sa mère ; que cette souscription n’a porté que sur un peu plus de la moitié de la somme héritée et qu’à la date de cette souscription, Mme X… n’était âgée que de 71 ans ; qu’au surplus, les requérants n’ont accepté la succession qu’après avoir reçu de leur notaire l’assurance que celle-ci n’était grevée d’aucune dette et n’ont été informés par celui-ci de l’existence de la créance du département que tardivement ; que, eu égard à l’ensemble de ces circonstances, l’intention libérale justifiant la requalification du contrat ne peut être regardée comme établie et, par suite, que l’action en récupération du département n’est pas légalement fondée ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que Mme K…, M. P…, M. F… et Mme V… sont fondés à soutenir que c’est à tort que la commission départementale d’aide sociale de Paris a rejeté leurs recours et à demander l’annulation de la décision du président du conseil de Paris requalifiant en donation le contrat d’assurance-vie du 23 février 2012 et prononçant un recours contre les donataires à hauteur des primes versées dans la cadre du contrat,

Décide

Art. 1er La décision du 17 octobre 2014 de la commission départementale d’aide sociale de Paris et la décision du 12 décembre 2013 du président du conseil général de Paris sont annulées.

Art. 2.  La présente décision sera notifiée à M. X… et aux autres parties, au président du conseil de Paris. Copie en sera adressée à la ministre des solidarités et de la santé.

Délibéré par la commission centrale d’aide sociale dans la séance non publique, à l’issue de la séance publique du 7 juillet 2017 où siégeaient Mme VESTUR, présidente, M. MONY, assesseur, Mme GOMERIEL, rapporteure.

Décision lue en séance publique le 10 juillet 2017.

La République mande et ordonne à la ministre des solidarités et de la santé, et à tous huissiers à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

La présidenteLa rapporteure

Pour ampliation,

La secrétaire générale de la commission centrale d’aide sociale,

Marie-Christine RIEUBERNET